Il aimait jouer. Et se jouer des autres et de lui-même. Avec son flegme, son charisme et son humour si singuliers. Sean Connery est mort dans la nuit de vendredi à samedi. Il avait 90 ans.

Le premier interprète de l’agent secret James Bond avait 70 ans lorsque j’ai découvert le bougon pince-sans-rire derrière l’acteur légendaire. C’était au Festival de Berlin, où il présentait en compétition, à la fois comme acteur et comme producteur, son avant-dernier film, Finding Forrester de Gus Van Sant.

Sean Connery était à la veille de la retraite (le calamiteux The League of Extraordinary Gentlemen fut son chant du cygne en 2003) et ne s’embarrassait plus de salamalecs, de bienséance diplomatique ni de formules de politesse.

L’Écossais de 6 pieds 2 pouces avait la réputation de ne pas s’en laisser imposer, ainsi qu’en témoignaient les nombreux procès qu’il avait intentés contre des studios ou d’anciens collaborateurs. Il disait ce qu’il pensait, avec ce trait d’humour spirituel qui le caractérisait. Grand charmeur, fin renard, appelant le respect tout en s’amusant de son mythe et de sa caricature.

En ce vendredi humide de février, à Berlin, aveuglé par les flashs insistants de dizaines de photographes en conférence de presse, le Guillaume de Baskerville du Nom de la rose avait délaissé les manières élégantes du parfait gentleman britannique pour remettre la meute à sa place, laissant échapper au passage un chapelet de mots d’église du vocabulaire franciscain.

Pendant près d’une heure, il s’était joué avec ironie des questions (certaines particulièrement niaises) des journalistes. « Quand jouerez-vous autre chose qu’un homme sophistiqué ? », a demandé un collègue espagnol. « C’est difficile de jouer autre chose qu’un homme sophistiqué lorsqu’on est un grand intellectuel », a répondu sourire en coin Connery, qui avait quitté l’école à 13 ans.

« Monsieur Connery, vous êtes l’homme le plus sexy du monde. Quel est votre secret ? », a demandé à son tour une journaliste italienne. « J’ai bien peur de devoir le garder jusque dans ma tombe », a-t-il répondu du tac au tac, en levant le sourcil droit à la manière de son célèbre alter ego (en 1999, le magazine People l’a élu « homme le plus sexy du XXe siècle »).

À la question : « Je vous adore. Qui est le vrai James Bond, selon vous ? », celui qui a personnifié l’agent 007 dans sept films (dont le « non officiel » Never Say Never Again, en 1982) a répondu, évasif : « J’aime tous les regarder plus que moi-même. » Roger Moore, le James Bond des années 70 et 80 – décédé en 2017 à 89 ans –, concédait à Connery, comme la majorité des amateurs de la série, le titre de meilleur interprète du personnage créé par le romancier et journaliste Ian Fleming en 1953.

Malgré une filmographie impressionnante et son Oscar du meilleur acteur de soutien pour The Untouchables, de Brian De Palma, en 1988, Sean Connery restera à jamais lié au personnage d’espion flegmatique et de dandy séducteur, l’incarnation du mâle alpha sophistiqué qui l’a propulsé au rang de superstar mondiale.

« Ça fait indéniablement partie de mon passé et ce passé est toujours à la mode, disait-il, lors de cette conférence de presse de la Berlinale, en 2001. Il y a encore beaucoup d’intérêt pour ce personnage qui est joué aujourd’hui par Pierce Brosnan. Un personnage qui pose certaines difficultés, évidemment. Quelqu’un a dû placer la barre bien haut… »

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Sean Connery pose lors d’un évènement dans le cadre de la sortie du film Thunderball.

L’héritage de l’agent 007 ne lui semblait pas trop lourd à porter. Peut-être parce qu’il était arrivé au cinéma par hasard et qu’il considérait que le métier d’acteur était un métier comme un autre. Connery est né et a grandi dans les quartiers populaires de Fountainbridge, à Édimbourg. Fils d’un camionneur et travailleur d’usine et d’une femme de ménage, il a quitté l’école pour s’engager dans la Royal Navy avant de multiplier les gagne-pain (maçon, livreur de charbon, garde du corps, polisseur de cercueils, modèle nu pour des étudiants en art…) puis de s’inscrire au concours de Monsieur Univers (il a remporté le bronze dans sa catégorie, en 1953).

Alors qu’il avait été embauché dans la troupe itinérante de la comédie musicale South Pacific, il a joué un match de soccer contre l’équipe junior de Manchester United et le légendaire entraîneur Matt Busby lui a proposé un contrat qu’il a refusé. Repéré par des agents de casting, il a joué dans une douzaine de films (surtout des films d’action) avant que les producteurs Albert R. Broccoli et Harry Saltzman lui confient le rôle de James Bond, malgré les doutes de Ian Fleming.

Connery est devenu Bond, James pour les intimes. Un agent redoutable et un macho impénitent qui multiplie les conquêtes, conduit des voitures de luxe – de préférence une Aston Martin – et ne boit que des martinis préparés selon la recette originale de Casino Royale, premier roman de la série : gin, vodka, vermouth et zeste de citron, « au shaker, jamais à la cuiller ».

Doctor No (1962), From Russia with Love (1963) et Goldfinger (1964) ont vite fait de Sean Connery une immense vedette de cinéma, grâce à ce mélange d’assurance virile, de sex-appeal rugueux et d’humour bon enfant.

J’ai revu les premiers James Bond récemment et leurs scénarios bourrés de clichés sexistes – avec des dialogues du type « Désolé, mon p’tit, nous allons discuter entre hommes » – n’ont pas tous bien vieilli. Mais on comprend aisément l’attrait de ces films d’action divertissants, remplis de poursuites en voitures de luxe, de combats chorégraphiés, de gadgets en tous genres, d’humour gamin et, bien sûr, de Bond Girls, à commencer par la plantureuse Ursula Andress.

Sean Connery a dans la foulée tourné Thunderball (1965), You Only Live Twice (1967) et Diamonds Are Forever (1971) – pour lequel il a reçu une avance d’un million de dollars – avant de reprendre le rôle de l’agent 007 à 52 ans, dans Never Say Never Again.

La « franchise » aurait-elle été aussi populaire sans lui ? Rien n’est moins sûr. Connery a défini le personnage pour tous les interprètes qui ont suivi, généralement considérés comme inférieurs. Il est toujours difficile de supplanter l’original. Celui qui s’en est le plus approché est à mon avis Daniel Craig. Mais en cette matière comme en bien d’autres, chacun a son opinion, souvent guidée par la nostalgie.

Malgré tous ses efforts, Sean Connery n’a jamais pu se défaire de cette image d’éternel séducteur, même en se débarrassant de la postiche qu’il portait dans ses films des années 60. Dans le rôle du père d’Indiana Jones (Harrison Ford, de 12 ans son cadet seulement) dans The Last Crusade (1989)que j’ai aussi revu récemment –, il se retrouve à séduire les mêmes jeunes femmes que son fils. Un clin d’œil évident de Steven Spielberg à son passé d’agent 007.

Sean Connery fuyait pourtant cet archétype. Il a varié les rôles, incarnant un homme riche qui épouse l’instable Marnie (Tippi Hedren), dans le film du même nom d’Alfred Hitchcock (1964). Il a tourné dans cinq films de Sidney Lumet (dont Murder on the Orient Express, en 1974), joué les aventuriers sans scrupules dans The Man Who Would Be King de John Huston (1975), les guerriers immortels dans Highlander de Russell Mulcahy (1986) et un capitaine de sous-marin russe dans The Hunt for Red October de John McTiernan (1990). Il a tenu plus de 60 rôles au cinéma, mais c’est Bond qui, jusqu’à la fin de ses jours, lui aura collé à la peau.

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Sean Connery et sa femme, l’actrice américaine Diane Cilento (à gauche), se présentent à la princesse Margaret du Royaume-Uni lors d’une représentation du film Lord Jim, à Londres, en février 1965.

Marié en 1962 à la comédienne Diane Cilento, qui l’a accusé dans son autobiographie de violence conjugale, Connery laisse dans le deuil un fils, Jason, qui est aussi acteur. Divorcé en 1973, il s’est remarié deux ans plus tard avec l’artiste peintre française Micheline Roquebrune.

Sean Connery a toujours affiché publiquement son appui à l’indépendance de l’Écosse. Aussi, c’est avec consternation que certains de ses compatriotes l’ont vu accepter d’être fait chevalier par la reine d’Angleterre, en 2000. « J’ai accepté de bonne foi, avait-il déclaré un an plus tard, à la Berlinale, avec cet accent écossais si souvent tourné en dérision. Je ne crois pas que cela remette en cause mes convictions politiques ou artistiques. »

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Sean Connery, vêtu d’un costume traditionnel robe des Highlands, après avoir été fait chevalier par la reine Élisabeth II au palais de Holyrood, à Édimbourg, le 5 juillet 2000

Il avait milité pour le camp du Oui lors du référendum écossais de 2014, même s’il vivait depuis plusieurs années aux Bahamas, où il est décédé. Sur un de ses avant-bras étaient tatoués les mots « Scotland Forever ». « Ce qu’on embrasse avec conviction a des répercussions, avait-il déclaré il y a 20 ans. Mon engagement politique a certainement eu un impact sur ma carrière d’acteur. Il y a eu du bon et du mauvais. Ce que je peux dire catégoriquement, c’est que je verrai l’indépendance de l’Écosse de mon vivant. »

Fois do t’anam, comme on dit en gaélique écossais. Reposez en paix, Sir Sean. Les diamants sont éternels.