Elles sont plus de 2000 femmes dans 50 pays. Deux mille voix qui s’élèvent des quatre coins du monde pour dénoncer les souffrances et aborder les sujets qui les préoccupent : l’amour, la maternité, l’injustice, la sexualité, l’émancipation. À travers autant d’histoires uniques, Femme(s) dresse une imposante mosaïque de la condition féminine dont émerge un portrait éclairant, souvent douloureux, mais porteur d’espoir. Le constat est clair : les femmes ne veulent plus se taire.

« Qu’est-il arrivé à l’humanité pour qu’on inflige autant de souffrances aux femmes ? », demande l’une des centaines des voix féminines qui s’expriment dans Femme(s). Cette question poignante d’une victime de l’État islamique résonne bien au-delà du générique : comment la moitié de l’humanité peut-elle être soumise à tant de violence, d’injustices et de discrimination ? Pourquoi les viols, l’exploitation, l’excision, la peur, l’inégalité, l’intimidation ?

Y a-t-il une explication à l’injustifiable ? Chercher cette réponse n’est pas la quête principale de ce documentaire, fruit du travail remarquable des cinéastes et journalistes français Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand (La terre vue du ciel) qui, après Human en 2015 – vu par plus de 100 millions de personnes à travers le monde –, dessinent d’abord un tableau sensible et tout en nuances de ce que signifie être femme à notre époque. Leur film en souligne surtout la force et l’incroyable résilience.

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Le documentaire Femme(s)

« Il ne suffit pas de dénoncer. Notre vie n’est pas que violence, injustices et discrimination, affirme Anastasia Mikova. J’ai eu envie de raconter autre chose de la vie des femmes. » Le rejet et la violence, dit-elle, prennent souvent racine dans la méconnaissance et l’incompréhension de l’autre. C’est pourquoi Femme(s) explore aussi des aspects plus intimes de la féminité, comme la sexualité, la maternité, les règles et le rapport au corps. Il s’emploie, dans la foulée, à démonter les tabous et briser les stéréotypes dans lesquels les femmes sont trop souvent cantonnées.

Les propos, souvent touchants, parfois drôles ou troublants, sont portés par une esthétique léchée, fruit notamment d’une collaboration ponctuelle avec d’autres réalisateurs dont le photographe Peter Lindbergh, à qui l’on doit la séquence sur le corps, et le réalisateur Paul Mignot, celle sur la maternité.

Les thématiques s’enchaînent dans un même cadre intimiste, une même écoute. Ce que certains ont d’ailleurs reproché aux réalisateurs. « Parfois, on me dit : vous avez mis des choses atroces et d’autres plus anodines au même niveau, mentionne celle qui fut rédactrice en chef de l’émission Vu du ciel. Pour moi, il n’y pas de sujets plus importants que d’autres. Je ne suis pas là pour juger de ce qui est plus ou moins important dans la vie d’une femme. »

Briser le silence

Il y a de ces projets qui s’imposent à vous. Ce fut le cas pour Femme(s), raconte sa réalisatrice.

« Lors de la production de Human, on a remarqué que les hommes étaient fiers de raconter leur histoire et venaient à nous, alors que les femmes nous voyaient arriver avec suspicion ou timidité. Mais une fois devant la caméra, c’était comme si beaucoup d’entre elles avaient attendu ce moment toute leur vie. Comme si ces choses qu’elles avaient gardées en elles pouvaient enfin sortir. On s’est dit : le moment est arrivé. Les femmes sont prêtes à prendre la parole et veulent être entendues. »

Femme(s) a démarré il y a plus de quatre ans. Deux ans plus tard, en plein tournage, la vague #metoo a déferlé. Ce fut sans surprise pour l’équipe, déjà plongée au cœur du sujet. « Il ne fallait qu’un déclencheur pour que la parole des femmes soit enfin prise en compte », croit Anastasia Mikova.

La société vit actuellement un profond changement que la réalisatrice attribue en partie à l’internet. Même dans les endroits les plus reculés de la planète, les téléphones portables sont présents, a-t-elle pu constater. « Toutes ces femmes qui, il y a quelques années, ne savaient même pas qu’une autre vie était possible en dehors de leur village, en sont aujourd’hui conscientes. »

On a parlé, décidé, voté à notre place, et aujourd’hui, on reprend nos vies. On se dit que plus personne d’autre ne pourra parler pour nous.

Anastasia Mikova, coréalisatrice de Femme(s)

PHOTO PETER LINDBERGH

La cinéaste et journaliste française Anastasia Mikova

Beaucoup d’intervenantes du film ont pris le risque de s’exposer afin que leurs filles ne vivent pas ce qu’elles ont vécu, et dans l’espoir d’un avenir global meilleur. Le rééquilibrage de la société ne se fera pas en deux temps, trois mouvements, convient la cinéaste française. Une brèche importante s’est toutefois ouverte.

« Des femmes qui ont parlé, il y en a toujours eu, mais quand une femme prenait la parole, on ne la croyait pas ou on avait peur de l’appuyer, ajoute Anastasia Mikova. Aujourd’hui, chaque fois qu’une femme prend la parole, il y en a des centaines, des milliers d’autres qui disent : on te croit, on a aussi vécu ça. On est vraiment dans un virage. Prendre la parole, c’est déjà énorme. »

Travailler ensemble

Ce film est un film de « vivre-ensemble ». Il se veut dans la continuation, la compréhension et non la division, tient à souligner la coréalisatrice du film. « Ce n’est pas du tout un film segmentaire. Je pense qu’il peut toucher tout le monde. On l’a fait pour qu’on puisse apprendre ensemble, créer des débats et des conversations, et voir comment on peut déconstruire ce monde pour qu’il fonctionne différemment. »

L’une des clés de cette reconstruction est l’éducation. « Quand on voit que 75 % des gens non éduqués dans le monde sont encore des femmes, on constate que c’est encore un problème très important. » Or, une femme éduquée est une personne qui a la capacité de comprendre, d’analyser, d’avoir un avis et de l’exprimer, notamment au sein de sa famille où les traditions, comme l’excision, sont parfois perpétuées en dépit des lois.

« Il faut arrêter de vouloir qu’on nous donne notre place. Il faut la prendre», revendique une politicienne rwandaise dans le documentaire. « Même si toutes les femmes ne sont pas au même stade de leur capacité à dire, il n’y a qu’en agissant qu’on pourra faire changer les choses, ajoute Anastasia Mikova. On ne peut pas attendre que ça vienne des autres, des lois. À un moment donné, chacun doit agir à son échelle. »

Au-delà de la souffrance et de l’injustice, ce qui ressort surtout de Femme(s), c’est une puissante force. « Je suis allée dans des endroits où j’aurais dû voir des femmes abattues, sans espoir, sans rien, conclut Anastasia Mikova. Leur capacité à rebondir est au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. C’est pourquoi je suis optimiste en l’avenir. Si avec le peu qu’on leur a offert, les femmes ont été capables de cette résilience, vous imaginez si on leur offre un peu plus demain ? »

Femme(s) sera, espèrent ses créateurs, une pierre dans l’édifice d’un nouvel équilibre en construction.

Woman : l’ONG

Les bénéfices du film Woman, dans plus de 30 pays où la sortie est prévue, seront versés à l’organisme Woman(s), créé par Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova afin de former des femmes et des jeunes filles aux métiers des médias et faire en sorte que le message de Woman continue d’être porté par d’autres dans le temps.

En salle le 14 août

Pour plus d’infos (en anglais) : associationwomans.org