Le Cinéma Moderne met à la disposition des cinéphiles trois films phares de Romy Schneider sur sa plateforme : Les choses de la vie, César et Rosalie, ainsi que L’important c’est d’aimer. Trente-huit ans après sa disparition tragique, à l’âge de 43 ans, l’actrice est toujours aussi présente dans l’imaginaire collectif français. Journaliste de cinéma, Jean-Pierre Lavoignat a déjà publié un livre d’entretiens avec Sarah Biasini, la fille de Romy Schneider (Romy, aux Éditions Flammarion). Entretien.

Romy Schneider est née à Vienne en 1938, a grandi en Allemagne et a connu un succès mondial dès l’adolescence grâce à l’impératrice Sissi, un rôle qui lui a collé à la peau malgré elle. Comment expliquez-vous que cette actrice, qui parlait seulement l’allemand lorsqu’elle est arrivée en France à la fin des années 50, en soit venue à devenir une figure emblématique du cinéma français ?

Plusieurs éléments expliquent ce phénomène. D’abord, sa relation avec l’Allemagne a toujours été compliquée. Quand Romy Schneider quitte le pays pour venir s’installer en France avec Alain Delon, en 1957 ou 1958, la guerre n’est pas encore très loin quand même. Là-bas, ce départ a été vu comme une trahison, un peu comme si elle passait au camp ennemi. Et comme son arrivée en France coïncide avec son refus de tourner un quatrième film de Sissi, en dépit des pressions faites par sa mère — et même le gouvernement presque ! —, les Allemands ne lui ont jamais pardonné. La presse fut particulièrement violente avec elle.

Comment, alors, explique-t-on cette affection profonde que les Français lui ont toujours portée et lui portent encore aujourd’hui ?

Je ne suis pas convaincu que les jeunes générations s’identifient à elle comme l’ont fait les générations précédentes, mais Romy Schneider reste toujours dans la tête et le cœur des Français, ça c’est sûr. Elle les a d’abord fait rêver grâce aux Sissi, mais je crois que ce lien très solide a été établi grâce aux films qu’elle a tournés avec Claude Sautet [Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, César et Rosalie, Mado, Une histoire simple]. Plusieurs films dans lesquels elle a joué ont aussi obtenu beaucoup de succès. Les personnages qu’elle incarne sont toujours très forts, très émouvants, parfois sombres mais pas toujours. Et puis, je dis souvent qu’il y a forcément des actrices plus belles, qu’il y a peut-être des actrices plus émouvantes, mais des actrices à la fois aussi belles et aussi émouvantes que Romy Schneider, il y en a très peu. Paradoxalement, elle a incarné une sorte d’idéal français.

Justement, comment l’explique-t-on ?

Je dirais que c’est essentiellement grâce aux films de Claude Sautet, très représentatifs de cette époque. Elle rallie alors tout le monde. Elle fait rêver les hommes, bien sûr, et les femmes s’identifient à elle car elle incarne un type de femme très assumée. Elle devient pour les Françaises une sorte de miroir fidèle, tout autant qu’un idéal auquel elles aspirent. Et outre les films de Sautet, il y a la beauté de La piscine [Jacques Deray, 1968], qu’elle tourne avec Delon, l’émotion du Vieux fusil [Robert Enrico, 1975], puis, L’important c’est d’aimer [Andrzej Zulawski, 1975], un film moins grand public mais dans lequel elle tient un rôle marquant, où elle incarne presque ce qu’est le métier d’acteur, jusqu’au sacrifice. Aux yeux des jeunes comédiens, elle incarne cette facette du métier un peu de la même manière que Patrick Dewaere. Et puis, la mort tragique de son fils David, à l’âge de 14 ans en 1981, a aussi fait en sorte que des liens très forts se sont tissés entre les Français et elle.

Pourrait-on dire qu’avec Catherine Deneuve et Annie Girardot, Romy Schneider faisait partie des actrices les plus emblématiques du cinéma français des années 70 ?

J’en ajouterais une quatrième : Marlène Jobert qui, elle, misait sur un côté un peu plus sexy. Annie Girardot, c’était l’émotion pure, la femme d’à côté à qui toutes les femmes pouvaient s’identifier. Catherine Deneuve, c’est bien sûr la beauté impériale et mystérieuse, et Romy Schneider était justement une synthèse des deux autres, avec la beauté et l’émotion pure à la fois. 

D’ailleurs, il y a dans 8 femmes une scène où Catherine Deneuve regarde une photo de la maîtresse de son défunt mari et c’est le visage de Romy Schneider qui apparaît. Est-ce que François Ozon a fabulé en laissant entendre cette rivalité entre les deux actrices ? Était-elle réelle ?

Pas entre elles personnellement, je ne croirais pas. Mais il est vrai que la presse les a parfois mises en opposition, peut-être parce qu’elles sont pratiquement de la même génération, quoique Romy Schneider était un peu plus âgée que Catherine Deneuve. Pour César et Rosalie, Claude Sautet a d’ailleurs proposé le rôle de Rosalie à Catherine Deneuve en premier, qui ne l’a finalement pas fait pour des raisons plutôt obscures. Quand j’ai organisé l’exposition consacrée à Romy Schneider, le fils de Claude Sautet m’a remis un télégramme qu’elle avait envoyé à son père où elle lui disait avoir besoin de ses conseils. « Tu sais, je ne suis ni Deneuve ni Jobert », avait-elle écrit. Finalement, Catherine Deneuve et Romy Schneider n’auront jamais joué ensemble.

Quels films vous viennent spontanément à l’esprit quand on évoque le souvenir de Romy Schneider ?

D’abord, les films de Sautet, avec une légère préférence pour César et Rosalie, parce que l’histoire est très belle et qu’elle met en scène un trio magique. Et puis, la scène de la rencontre entre Philippe Noiret et elle dans Le vieux fusil est l’un des plus beaux coups de foudre de l’histoire du cinéma. Il me vient spontanément à l’esprit quelques scènes de L’important c’est d’aimer aussi. Et j’adore Ludwig — Le crépuscule des dieux [Luchino Visconti, 1973], dans lequel elle fait un pied de nez à l’histoire en rejouant le personnage de Sissi, mais cette fois, c’était beaucoup moins à l’eau de rose. En fait, il y en a tellement !

Les choses de la vie (Claude Sautet), César et Rosalie (Claude Sautet) et L’important c’est d’aimer (Andrzej Zulawski) peuvent être loués sur la plateforme du Cinéma Moderne à partir du 1er mai.

Romy Schneider en trois films

Les choses de la vie, de Claude Sautet (1970)

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Michel Piccoli et Romy Schneider dans Les choses de la vie, un film de Claude Sautet

Deux ans après La piscine, qui a marqué son grand retour en France après quelques années passées loin des plateaux à Berlin, Romy Schneider tourne sous la direction de Claude Sautet une première fois. Dans ce film où un homme (Michel Piccoli) revoit les grands moments de sa relation amoureuse avec la femme qui partage sa vie, au son de la belle partition musicale de Philippe Sarde, l’actrice entame le cycle le plus fécond de sa carrière.

César et Rosalie, de Claude Sautet (1972)

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Romy Schneider, entre Sami Frey et Yves Montand dans César et Rosalie, un film de Claude Sautet

Le « trio magique » qu’évoque Jean-Pierre Lavoignat est celui que forment Romy Schneider, Sami Frey et Yves Montand dans ce film dont on a dit qu’il était le revers de Jules et Jim, de François Truffaut. Plutôt que d’évoquer une amitié qui se brise entre deux hommes après l’arrivée d’une femme dont ils tombent tous deux amoureux, Sautet raconte l’histoire d’une amitié naissante entre deux rivaux qui ne se connaissent pas, de qui une femme est amoureuse de l’un et de l’autre. Même si ce film est tributaire des mœurs de son époque, Romy Schneider est tout simplement radieuse dans le rôle d’une femme libre de ses choix.

L’important c’est d’aimer, d’Andrzej Zulawski (1975)

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Romy Schneider dans L’important c’est d’aimer, un film d’Andrzej Zulawski

Lors de la toute première cérémonie des Césars du cinéma français, Romy Schneider a obtenu le prix de la meilleure actrice grâce à sa performance dans ce premier film français du cinéaste polonais Andrzej Zulawski. Dans ce drame exacerbé, adapté d’un roman de Christopher Frank, elle incarne une actrice devant accepter des contrats alimentaires dans de mauvais films pour survivre. Face à Fabio Testi, un photographe qui tombe amoureux d’elle, et Jacques Dutronc, qui incarne son mari, un genre de clown désenchanté, Romy Schneider joue ici l’un des rôles les plus marquants — et probablement les plus douloureux — de sa carrière.