L’annonce n’a surpris personne. Le Festival international du film de Cannes n’aura pas lieu cette année. Du moins, pas dans sa forme « initiale ». Les organisateurs ont dû se rendre à l’évidence après qu’Emmanuel Macron, président de la République française, eut décrété lundi l’interdiction de la tenue de festivals et de rassemblements publics jusqu’à la mi-juillet.

Le mois dernier, les organisateurs étudiaient encore plusieurs hypothèses afin de préserver le déroulement du festival, d’abord prévu du 12 au 23 mai. La piste privilégiée était alors un simple report à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, ce qui n’est plus possible.

L’option d’un autre report, encore plus tard dans l’année, ne peut être retenue non plus, à cause du chevauchement à l’automne de plusieurs autres festivals importants. La Mostra de Venise a lieu au tout début du mois de septembre et le festival de Telluride, au Colorado, commence à peine quelques jours plus tard. Vient ensuite, une semaine après la soirée d’ouverture à Venise, le Festival international du film de Toronto (TIFF). Deux semaines plus tard se tient le festival de New York (NYFF), qui attire de plus en plus de primeurs prestigieuses. À ce stade-ci, il n’est pas dit que ces grands évènements pourront se dérouler normalement non plus, même si chacune des organisations affirme les préparer comme d’habitude.

Pas encore d’annulation formelle

Le court communiqué officiel qu’a diffusé mardi la direction du Festival de Cannes n’évoque cependant pas encore une annulation pure et simple de ce qui serait la 73e édition.

« Il apparaît désormais difficile de penser que le Festival de Cannes puisse être organisé cette année sous sa forme initiale, peut-on lire. Néanmoins, nous avons commencé hier soir [lundi] de nombreuses consultations dans le milieu professionnel en France et à l’étranger. Elles s’accordent sur le fait que le Festival de Cannes, qui est un instrument essentiel de soutien à l’industrie cinématographique, doit continuer à étudier l’ensemble des éventualités permettant d’accompagner l’année cinéma en faisant exister les films de Cannes 2020 d’une manière ou d’une autre. »

Un festival virtuel ?

Si l’on se fie à un entretien qu’a accordé Thierry Frémaux, délégué général, au journal Variety la semaine dernière, il est évident que l’idée d’un festival virtuel ne figure pas du tout dans les plans. 

Pour Cannes, pour son âme, son histoire, son efficacité, ce modèle ne pourrait pas fonctionner. Que serait un festival en numérique ? […] Il faudrait d’abord demander l’accord aux détenteurs des droits d’exploitation.

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes 

« Des films de Wes Anderson [The French Dispatch] ou de Paul Verhoeven [Benedetta] sur un ordinateur ? Découvrir Top Gun 2 ou Soul, de Pixar, ailleurs que dans une salle ? Les sorties de ces films ont été reportées afin qu’ils puissent être vus sur grand écran. Pourquoi voudrions-nous les présenter en primeur sur une plateforme ? » avait-il alors demandé, balançant du coup quelques titres de longs métrages qui auraient pu être lancés sur la Croisette.

Alberto Barbera, de la Mostra de Venise, abonde dans le même sens que son homologue cannois, mais certains festivals américains plus nichés (South by Southwest, Tribeca) empruntent volontiers l’option de la diffusion en ligne. Dans une entrevue accordée à The Hollywood Reporter au début du mois, les organisateurs du festival de Toronto, dont la 45e édition devrait en principe se tenir du 10 au 20 septembre, n’écartent pas non plus la possibilité d’organiser certains évènements en ligne, si nécessaire.

« Nous reconnaissons qu’en planifiant maintenant, une incertitude règne à propos du genre de rassemblements qui seront permis au mois de septembre. C’est pourquoi nous regardons toutes les options », ont déclaré les codirecteurs Joana Vicente et Cameron Bailey.

La mesure de l’année cinéma

Doté d’un marché du film très important, toujours très sélectif dans ses choix, le Festival de Cannes donne habituellement la mesure de toute l’année cinéma. Rappelons que l’an dernier, le film lauréat de la Palme d’or fut Parasite. Ce film sud-coréen, signé Bong Joon-ho, a ensuite triomphé aux Oscars. Une sélection à Cannes est d’autant plus prestigieuse que les places sont rares. On ne compte jamais guère plus de 50 longs métrages dans la programmation officielle.

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Xavier Dolan à Cannes, où il a présenté Matthias et Maxime en 2019.

En 2019, des films comme Portrait de la jeune fille en feu, Douleur et gloire, Sorry We Missed You, Roubaix, une lumière, Once Upon a Time… in Hollywood, Les misérables et Matthias et Maxime faisaient partie des longs métrages en lice pour la Palme d’or.

Pour les membres du Regroupement des distributeurs indépendants du Québec, l’absence du rendez-vous cannois sur le calendrier annuel est significative.

Pour un film québécois ayant l’honneur d’une sélection, il n’existe aucun tremplin aussi prestigieux sur le plan international. Aussi, le cadre dans lequel on achète et on vend des films au marché ne peut être reproduit autrement. Bien sûr, on peut continuer à faire des affaires virtuellement, mais ce n’est pas pareil.

Andrew Noble, président du Regroupement des distributeurs indépendants du Québec

« Et puis, poursuit-il, le circuit des festivals est très important pour nous, étant donné que nous distribuons majoritairement des films québécois et internationaux. Or, la séquence est complètement perturbée cette année. Nous avons encore dans nos catalogues plusieurs films dont les sorties sont en suspens et nous ne savons pas encore à quel moment on pourra les présenter au public […]. Et il n’est pas dit que tout pourra être remis en marche à Toronto. On risque de perdre notre année. »

Presque une première pour Cannes 

Le plus prestigieux festival de cinéma du monde a été créé en 1939, mais n’a jamais pu être tenu cette année-là à cause de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne. Depuis 1946, l’année où le festival a finalement été lancé, une seule édition a dû être interrompue. En 1968, plusieurs cinéastes — François Truffaut et Jean-Luc Godard en tête — se sont joints au mouvement étudiant et ouvrier et ont perturbé le déroulement du festival, qui a dû capituler. Cinquante-deux ans plus tard, les livres d’histoire retiendront qu’une pandémie aura eu raison du bal cannois. Dans sa forme initiale.