Créé en toute spontanéité pour dérider ses amis il y a une dizaine de jours, le court métrage La sieste de Jennifer Alleyn a été vu pas moins de 32 000 fois sur sa page Facebook, et partagé 1300 fois. Un petit succès qui étonne la principale intéressée, mais qui démontre aussi combien l’art est plus que nécessaire par les temps qui courent, estime-t-elle.

« C’est assez surréel. J’ai travaillé cinq ans sur mon film Impetus, il a été six semaines en salle et a été vu par à peu près 5000 personnes… Avec La sieste, j’explose complètement ! », s’amuse la cinéaste.

« Au début du confinement, il y avait comme une tentation de dire OK, est-ce qu’on témoigne de ça ? ajoute-t-elle. On voyait des artistes qui faisaient des choses, on sentait une pression. Puis c’est venu spontanément, par le biais de l’humour. »

La sieste est né d’un flash… après une sieste de son amoureux, le comédien Henri Chassé. Jennifer Alleyn lui lance l’idée de ce mauvais rêve qu’il raconterait en se réveillant, mais qui en fait ne serait qu’une description de la réalité : la pandémie, le déluge des annulations, le confinement, le lavage de mains compulsif, les conférences de presse quotidiennes, le docteur Horacio et ses tartelettes portugaises…

« L’idée du rêve mettait en relief le côté tellement surréel de ce qui arrive. Henri n’avait qu’à décrire la réalité, et on se retrouvait dans un monde complètement surréaliste. »

Quelques lignes directrices, un talent de comédien comique inné, un iPhone, deux prises, un montage fait par son fils de 16 ans – « C’est vraiment un film maison ! » –, et voilà le film bouclé et envoyé sur Facebook.

Nos amis nous ont tout de suite dit que ça leur faisait du bien, que ça les sortait un peu de leur marasme. Je me suis dit : l’art c’est quand même extraordinaire, c’est un baume dans ces circonstances.

Jennifer Alleyn

Son désir était d’envoyer une bouffée d’air aux amis, mais jamais elle n’aurait pensé qu’elle se répandrait ainsi comme une traînée de poudre – 16 000 vues en 24 heures, elle n’en revient pas encore.

« C’est la plus belle chose qui pouvait arriver. On partage du rire plutôt que de l’angoisse. »

En mouvement

Jennifer Alleyn avoue aussi qu’il y avait en elle le désir de « se mettre en mouvement », après un début de confinement où elle a cherché ses repères.

« Étrangement, les projets à long terme qui impliquent beaucoup de gens, c’est là qu’on est dans une incertitude. Me retourner vers un projet spontané m’a ramenée à l’énergie de la Course autour du monde. Faire un film en trois jours, essayer de saisir l’état du monde et le traduire, mon Dieu que j’aime ça. »

Et le partager au moment exact où ça se passe a quelque chose de la communion – ce qui explique probablement son succès.

C’est rare qu’on puisse créer quelque chose qui concerne absolument tout le monde en même temps, qui touche à la vie quotidienne de chacun.

Jennifer Alleyn

« Est-ce que je vais être capable de trouver un autre sujet de film qui aura cette portée ? ajoute-t-elle. Ce n’est pas possible ! C’est pour ça aussi qu’on l’a sorti vite. En ce moment, il a un écho. Dans trois semaines, s’il y a énormément de morts, on ne trouvera plus ça drôle. »

Le film aura aussi une deuxième vie sur le site du sympathique Festival international des films en quarantaine, lancé il y a trois semaines dans l’objectif de « transformer cet état de crise en moment de créativité et d’imagination et de nous faire du bien à tous », dit leur page Facebook.

Jennifer Alleyn ne sait pas s’il y aura une suite à La sieste – « J’ai une idée, mais qui implique d’aller dehors, et c’est devenu complexe de sortir » –, a retrouvé une routine de travail – « Une espèce de routine normale, mais quand on écoute les nouvelles, on voit que rien n’est normal… » –, compte les contrats annulés en se demandant à quoi ressembleront les mois à venir dans le milieu des arts, et espère que de l’autre côté de tout ça, on aura envie d’inventer un nouveau monde.

« Je sais que je suis privilégiée. J’ai de l’espace, un balcon ensoleillé, et je peux me réorganiser pour arriver à travailler. Le plus dur est certainement de ne pas voir les êtres que j’aime. Ma mère est confinée dans sa chambre en résidence et je ne peux pas la voir. J’entends sa détresse au téléphone. Et je me questionne sur notre rapport aux aînés, à tous ces humains qui vieillissent dans la plus grande solitude. Il ne faut pas que ça dure trop longtemps, car il y aura des dommages collatéraux. »

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