Sept mois après son report pour cause de tueries de masse aux États-Unis, The Hunt, un thriller sociopolitique sur la polarisation des Américains à l’ère Trump, sort finalement en salle vendredi. Nous l’avons vu. À la fois satirique et ultra-violent, ce film controversé dépeint un pays où tout le monde est devenu le monstre de l’autre. Décryptage.

L’histoire en bref

Dans un avenir rapproché, une théorie du complot de la droite aux États-Unis se confirme : des membres de l’élite libérale kidnappent des conservateurs de la classe moyenne pour pratiquer un nouveau sport national : la chasse aux rednecks. Le film commence lorsqu’une douzaine de citoyens « normaux » se réveillent au milieu d’une clairière. Soudainement, ils se font tirer, poignarder, exploser… et se rendent compte qu’ils sont la cible de ce jeu macabre. Or, Crystal (Betty Gilpin), une femme du Midwest mais qui pourrait sortir d’un manga japonais, ne se laissera pas intimider.

Elle va se battre… pour sa vie ! Et éliminer un à un ses poursuivants. Elle se rendra à l’intérieur du manoir d’Athena, la cheffe des élitistes (Hilary Swank). Celle-ci l’attend de pied ferme. Les deux femmes se livrent alors à un ultime combat, digne des légendaires bagarres entre Blake et Krystle dans (le premier) Dynastie.

« Unir et divertir »

Le 4 août 2019 au matin, les Américains se réveillent un dimanche en comptant les victimes de tueries au Colorado et au Texas, qui suivent de quelques jours une autre fusillade meurtrière dans un festival en Californie. Cette triple tragédie relance le sempiternel débat sur le contrôle des armes aux États-Unis. Dans ce contexte, le distributeur Universal annule la sortie du film qui montre des Américains qui chassent et tuent d’autres Américains… par pur plaisir. « Si j’avais cru que mon film pouvait inciter à la violence, je ne l’aurais pas fait », se défend le réalisateur Craig Zobel. Selon lui, The Hunt ne prend pas parti pour un camp ou l’autre. Questionné par Variety, le cinéaste a nié que son titre de travail était Blue States vs. Red States (les États démocrates contre les États républicains). « C’est une satire autant des libéraux que des conservateurs. Notre but est d’unir et de divertir, non d’enrager et de diviser. »

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La polémique

Loin de calmer le jeu, le report du film n’a fait qu’accentuer la polémique. The Hunt est devenu ce film dont tous les médias, Fox en tête, ont parlé sans l’avoir vu. Une tendance lourde de nos jours… Bien sûr, Donald Trump s’en est aussi mêlé, critiquant le film sur Twitter et qualifiant les libéraux de Hollywood de « racistes de haut niveau ». « Le but du film est d’enflammer la société et de causer le chaos. Les libéraux créent la violence et ensuite blâment les autres. C’est très mauvais pour le pays », a écrit le président. Depuis, la stratégie de marketing pour relancer The Hunt récupère la polémique. Les affiches et les publicités du film reprennent des extraits de critiques de médias qui n’avaient pas vu le long métrage : « Un film fait pour diviser ; fou et malsain, dangereux et inapproprié ; une incitation à la violence »…

L’épreuve des faits

Aussi horrifiante et ensanglantée soit-elle, cette satire ne prend pas parti pour l’élite libérale de gauche ni pour les partisans de Trump. Il n’y a ni méchants ni gentils, car les deux clans sont traités et caricaturés également. On a droit à de bonnes blagues sur l’appropriation culturelle, les véganes, la rectitude politique et aussi sur les « maudits rednecks » et les pro-armes. D’ailleurs, au fil de l’action, le scénario brouille les pistes, afin que le public ne sache jamais vraiment qui est la victime ou le bourreau, l’allié ou l’ennemi. « De toute façon, tout le monde ment au pays », tranche Crystal.

Le verdict

Au cinéma et ailleurs, la glorification du comportement ultra-violent ne date pas d’hier. Certains artistes l’ont fait avec maestria (Stanley Kubrick) ; d’autres avec moins de talent. Entre le feuilleton (à la Dynastie) et le film d’anticipation (à la Battle Royale), The Hunt peine à trouver le ton juste. Paradoxalement, c’est aussi une force du film. Dans un pays où la liberté d’expression ne veut plus rien dire, où le combat social semble perdu à moyen terme, il est difficile de porter un regard sur sa société, d’en faire un portrait. Peu importe le genre ou le sens de l’œuvre en question. L’Amérique d’aujourd’hui s’est transformée en entreprise de rejet des valeurs des Lumières. Pour s’adonner à un curieux sport, une chasse à l’homme où tout le monde est perdant.

Le film prend l’affiche le 13 mars.