(Séoul) Le triomphe sans précédent de Parasite, premier long métrage en langue étrangère à obtenir l’Oscar du meilleur film, pourrait marquer un tournant, élargissant la réception mondiale du cinéma sud-coréen et ouvrant grandes les portes de Hollywood aux productions étrangères.

À la fois thriller, comédie familiale et satire corrosive sur les inégalités sociales, le film de Bong Joon-ho a raflé dimanche quatre Oscars en une soirée, dont le plus prestigieux, celui du meilleur film, bien qu’il soit tourné entièrement en coréen.

Une récompense inédite en 92 ans pour un film dans une autre langue que l’anglais : « Non seulement Bong Joon-ho marque l’histoire culturelle sud-coréenne, mais il écrit une page d’histoire à Hollywood », s’enflammait mardi le Chosun Ilbo, grand quotidien de Corée du Sud.

L’Académie des Oscars « était obsédée par les films en anglais tournés par des réalisateurs blancs », ce qui faisait qu’il était « plus difficile pour un Coréen de remporter un Oscar avec un film en coréen que de décrocher un Nobel en littérature », grince-t-il.

« C’est le début d’une nouvelle ère », et ce triomphe libère « des opportunités incroyables » pour les films étrangers aux États-Unis, abonde Gina Kim, professeur à l’université californienne UCLA et réalisatrice d’origine sud-coréenne.

Hollywood « continue de dominer l’industrie cinématographique mondiale, et était connu pour ne pas laisser d’espace aux films en langue étrangère sur ses terres », explique-t-elle. « Avec Parasite, tout a changé ».

Dynamisme du cinéma coréen

Le succès de Bong Joon-ho, qui vient couronner l’année marquant le centenaire du cinéma coréen, confirme le dynamisme de la Corée du Sud, cinquième plus gros pays producteur de films dans le monde.

Plusieurs productions locales avaient déjà séduit les grands festivals : le thriller Old Boy de Park Chan-wook avait remporté en 2004 le Grand prix cannois, et le drame Pieta de Kim Ki-duk s’était arrogé en 2012 le Lion d’or à Venise.

Surtout, le cinéma sud-coréen s’était invité à Hollywood en 2013 : d’une part avec le thriller psychologique Stoker tourné par Park Chan-wook avec Nicole Kidman ; puis avec Snowpiercer, film de science-fiction dystopique réalisé par Bong Joon-ho lui-même avec Tilda Swinton.

La Corée du Sud a fait de sa culture un outil de « soft power » — non sans succès : sa musique K-pop et ses boys-bands connaissent un engouement massif à travers le monde, en Asie comme en Occident.

Le cinéma sud-coréen a pour sa part connu une renaissance dans les années 1990 avec l’émergence de la démocratie après des décennies de dictature militaire.

Les Oscars de Bong « sont l’occasion inouïe pour le cinéma sud-coréen de mettre en valeur tous les talents qu’il a vus apparaître ces dernières années », souligne Jason Bechervaise, professeur de l’université sud-coréenne Soongsil Cyber.

« Bien sûr, des problèmes existent comme dans tous les secteurs. Mais je suspecte les pays voisins d’être très envieux » du triomphe de Parasite, ajoute-t-il.

À l’instar de la Chine, qui investit tous azimuts dans sa production culturelle, mais impose une censure étroite, sans connaître de succès populaire à l’international.

La recette sud-coréenne tient peut-être à la liberté et à l’audace de ses artistes. En 2007, l’ex-président Kim Dae-jung lançait à l’administration : « Offrez un soutien financier aux artistes, mais surtout n’intervenez jamais dans leur travail. Dès que le gouvernement interfère, les industries créatives se brisent ».

« Une avancée étonnante »

Le succès de Parasite a également suscité une vive émotion dans la diaspora asiatique en Amérique du Nord, provoquant des réactions de joie de l’auteur américano-coréen Min Jin Lee et l’actrice Sandra Oh.

La représentation d’Asiatiques dans les films hollywoodiens « reste encore largement sporadique » malgré le succès en 2018 de la comédie romantique Crazy Rich Asians à la distribution uniquement asiatique, rappelle Michael Hurt, sociologue à l’Université de Séoul.

Il salue « une avancée étonnante » pour une population largement invisible sur les écrans américains.

Pour Kieran Meyn, Américain d’origine coréenne qui a grandi au Connecticut avec « beaucoup de pression » pour s’assimiler, cette cérémonie des Oscars restera inoubliable.

« Parasite a gagné ces récompenses tout en racontant une histoire coréenne, avec une distribution coréenne et en langue coréenne. Cela prouve qu’(un tel succès), ça peut arriver, ici en Amérique » pour un film asiatique, se réjouit-il.