(Montfermeil) « Une revanche ! Pour lui et tous les habitants » : dans les allées du marché de Clichy-Montfermeil, banlieue parisienne où a été tourné Les Misérables de Ladj Ly, les habitants disent leur « fierté » de voir ce film sélectionné aux Oscars.

« Maintenant les Américains vont pouvoir nous contacter ! », rigole Clément entre les étals chargés de clémentines et de vêtements bon marché. Ce résident de 35 ans fait une brève apparition comme figurant au début du long métrage.

« Ça fait plaisir qu’il aille jusqu’aux Oscars. Ça fait longtemps que Ladj fait ça, il tournait avec son petit téléphone », ajoute-t-il. « C’est une revanche ! Pour lui et tous les habitants du 93 », numéro du département qui englobe cette banlieue, la Seine–Saint-Denis, lance aussi Rahma, 44 ans.

Sur le marché, beaucoup ont entendu parler du film et connaissent l’histoire de son réalisateur, âgé de 40 ans, qui a grandi et vécu à Montfermeil. Le film, encensé par la critique et déjà primé à Cannes, a franchi lundi une nouvelle étape : il a été sélectionné pour représenter la France aux Oscars.

Tourné en six semaines à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, il raconte l’histoire d’une bavure policière dans une cité sensible, à travers le destin d’un policier qui débarque à la brigade anticriminalité.

« J’ai adoré, j’ai été très touché », dit Cyril, 29 ans, éducateur spécialisé dans le quartier. « J’ai reconnu la banlieue telle que je la connais », dit-il. Marqué par la « brutalité » qui s’en dégage, il retient le « constat d’urgence » dressé par le film.

La « rage au ventre »

« La violence, il n’y a pas que ça ici. Mais bien sûr que certains jeunes de banlieue vivent avec la rage au ventre », dit l’éducateur.

Il sait que le Président Macron « a promis de faire des choses pour la banlieue » après avoir vu le film. « J’aimerais, j’espère, mais je n’y crois pas vraiment ».

L’éducateur évoque le précédent du film La haine, de Mathieu Kassovitz, auquel Les Misérables est souvent comparé. « La haine a cartonné en 1995 et pourtant, il n’y a pas beaucoup de choses qui ont changé depuis ».

Dans ce quartier très enclavé où les émeutes de 2005 qui avaient embrasé les banlieues françaises ont démarré, le tramway vient tout juste d’arriver. Plusieurs tours d’immeuble sont tombées avec la rénovation urbaine. Aujourd’hui, c’est une gare du métro du Grand Paris qui doit bientôt sortir de terre.

« Les transports, la rénovation urbaine, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant », poursuit Clément, évoquant « l’emploi », « le pouvoir d’achat ».

Mehdi, 17 ans, vient acheter une pizza turque sur un stand du marché. Lui aussi s’est retrouvé dans le film. « Il y a des gens qui font des classes préparatoires, il y a de tout ici ». Mais la violence décrite est « aussi une réalité ». « C’est bien que ce soit montré », dit l’adolescent. « C’est difficile d’expliquer à des gens de l’extérieur comment on vit ici ».

Djamila, 47 ans, a, elle, découvert une réalité qu’elle ne soupçonnait pas. Elle habite la zone pavillonnaire de la ville, « ça m’a choqué de voir ces jeunes là, l’état des cités, mais on se dit que malgré tout, on peut s’en sortir à Clichy-sous-Bois ».

Véronique, 50 ans, Clichoise depuis des années, a trouvé le film trop « négatif ». Il ne « montre qu’un aspect des choses », regrette-t-elle. « J’aurais aimé qu’il y ait une image positive ».

« C’est une réelle fierté pour nous », disent pourtant Fatima et Camélia, 18 ans, stagiaires dans une association de soutien scolaire basée dans la ville. Elles retiennent aussi le parcours de Ladj Ly : « C’est un exemple pour les jeunes, ça montre qu’en partant de rien, on peut avoir tout. »