En plus de ces 10 longs métrages, il convient de souligner la qualité exceptionnelle du cru québécois. Des films comme Impetus (Jennifer Alleyn), Répertoire des villes disparues et Wilcox (Denis Côté), Une colonie (Geneviève Dulude-De Celles), Menteur (Émile Gaudreault), Jeune Juliette (Anne Émond), Matthias et Maxime (Xavier Dolan), Kuessipan (Myriam Verreault), Il pleuvait des oiseaux (Louise Archambault), Sympathie pour le diable (Guillaume De Fontenay) et quelques autres ont apporté beaucoup de souffle — et de profondeur — à notre cinématographie nationale en 2019.

1. Marriage Story, de Noah Baumbach (États-Unis)

Nous l’avons écrit au moment de la sortie de ce film et il y a lieu de le redire, même au risque de se répéter : Noah Baumbach (Frances Ha, The Meyerowitz Stories) nous offre un film exceptionnel. Grâce à sa virtuosité d’écriture, le cinéaste parvient à moduler subtilement l’espèce de dérive des sentiments dans laquelle sont entraînés deux époux qui, après 10 ans de vie commune, s’engagent dans une procédure de divorce. Baumbach expose tous les aspects de l’affaire avec une incroyable liberté de ton. Aussi poignant soit-il, Marriage Story est aussi très drôle par moments. Et la scène où Adam Driver vient chanter Being Alive, de Steven Sondheim, nous hante longtemps. Comme tout ce film, en fait.

2. The Irishman, de Martin Scorsese (États-Unis)

Maîtrisant de bout en bout son art, Martin Scorsese nous entraîne pendant trois heures et demie, dont on savoure chacune des minutes sans jamais voir le temps passer, dans les souvenirs d’un gangster âgé, à la veille de sa mort. Au sommet, cette rencontre dont rêvaient les cinéphiles entre Robert De Niro et Al Pacino s’est révélée à la hauteur des attentes. Il y a aussi quelque chose de profondément émouvant dans le fait de voir Martin Scorsese, l’un des plus grands cinéastes contemporains, revenir à son genre de prédilection avec le regard d’un homme plus mûr. Il nous offre aussi au passage une grande leçon de cinéma.

3. Parasite, de Bong Joon-ho (Corée du Sud)

À travers les aventures d’une famille qu’on pourrait presque comparer à nos Bougon, le cinéaste Bong Joon-ho brosse le portrait de la société coréenne, mais il accroche l’air du temps de si brillante façon que Parasite touche aussi à l’universel. Sa façon d’illustrer la lutte des classes fait en effet écho à une situation planétaire, alors que les populations s’embrasent un peu partout pour réclamer un peu plus de justice sociale. À la fois drôle, surprenant et inquiétant, Parasite se distingue grâce à ses personnages, mais aussi, surtout, grâce au sens de la mise en scène d’un cinéaste qui n’a certes pas volé sa Palme d’or au Festival de Cannes.

4. Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma (France)

Présenté au festival Cinemania de Montréal, ce film, lauréat du prix du meilleur scénario au Festival de Cannes, est d’une beauté somptueuse. Céline Sciamma (Naissance des pieuvres) a écrit spécialement pour Adèle Haenel ce film dans lequel elle relate l’histoire d’amour entre une artiste peintre du XVIIIe siècle et une femme dont elle doit réaliser le portrait de mariage. Dans la lignée de The Piano, que Jane Campion a réalisé il y a plus de 25 ans, Portrait de la jeune fille en feu pose aussi un regard vibrant sur la condition des femmes à travers une démarche d’artiste. Notez que ce film remarquable prendra l’affiche au Québec le 14 février.

5. Douleur et gloire, de Pedro Almodóvar (Espagne)

On pourrait avancer ici l’idée d’autoportrait, tant le récit semble nourri de l’histoire intime du cinéaste, qui va même jusqu’à reproduire son propre appartement en guise de décor. Or, et c’est là la force du cinéma, Douleur et gloire est aussi une fiction nourrie des préoccupations d’un artiste assailli par le doute et condamné à l’excellence, bien conscient du fait qu’à 70 ans, son œuvre est déjà construite. L’alter ego d’Almodóvar dans ce film est Antonio Banderas. Lauréat du prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes, l’acteur propose l’une de ses plus grandes compositions, empreinte de la sobriété naturelle qu’amène la maturité.

6. Antigone, de Sophie Deraspe (Québec)

À une époque où le thème de l’immigration est délicat, tant au Québec que dans les sociétés occidentales en général, à une époque où, aussi, les préoccupations de la jeunesse planétaire sont en rupture avec celles de ses aînés, cette nouvelle adaptation de la pièce de Sophocle ne pouvait mieux s’inscrire dans l’air du temps. Sans trop appuyer, Sophie Deraspe (Les signes vitaux, Le profil Amina) propose un film percutant, qui fait écho à la fois aux difficultés que rencontrent les immigrants et à la révolte d’une jeunesse qui gronde. Cette ode à la solidarité humaine nous a aussi révélé Nahéma Ricci, une actrice formidable.

7. Les Misérables, de Ladj Ly (France)

Aussi présenté au festival Cinemania de Montréal, ce premier long métrage de Ladj Ly, lauréat du prix du jury au Festival de Cannes, est un véritable coup de poing. En campant son récit à Montfermeil, un endroit qu’a évoqué Victor Hugo dans son roman Les Misérables, maintenant une cité de banlieue où les inégalités sociales entraînent la révolte, le cinéaste fait écho à la société d’aujourd’hui en brossant un tableau d’une puissance inouïe, sans pourtant céder au moindre manichéisme. Le dernier acte de ce film sous tension, qui prendra l’affiche au Québec le 10 janvier, est absolument saisissant.

8. Joker, de Todd Phillips (États-Unis)

Lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise, ce film de Todd Phillips tend à l’Amérique un miroir implacable. Sombre, troublant, déstabilisant, aussi marqué par une performance hallucinante — et hallucinée — de Joaquin Phoenix, ce film ovni emprunte aussi la forme d’un hommage au cinéma américain d’il y a 40 ans. Puisé à même les classiques des années 70 et 80, particulièrement le cinéma de Martin Scorsese (des références directes sont faites à Taxi Driver et The King of Comedy), le récit trouve un écho contemporain particulier, dans la mesure où il expose la folie à l’état pur, celle qui fait que des types, taciturnes au-delà de la colère et de la rage, commettent l’irréparable d’une manière qui dépasse l’imagination. Et qui glace le sang.

9. La femme de mon frère, de Monia Chokri (Québec)

À la fois léger et profond, le premier long métrage de Monia Chokri à titre de scénariste et réalisatrice fait écho au désarroi d’une femme trentenaire tentant de trouver sa place dans un monde qui ne semble pas en mesure de lui en offrir une. Il y a d’abord les dialogues, vifs, corrosifs, souvent très drôles, livrés avec panache. Sans insister, parce que ça fait tout simplement partie de la vie, on parle d’avortement, d’immigration, de relations familiales, de l’absence de désir de maternité, de vie sociale et amoureuse. Et puis, il y a la manière. Sur le plan de la mise en scène, La femme de mon frère, qui a ouvert Un certain regard au Festival de Cannes, est truffé de jolis traits et de belles trouvailles.

10. Knives Out, de Rian Johnson (États-Unis)

Un divertissement « à l’ancienne » absolument jubilatoire, dont l’esprit évoque l’univers des romans à énigmes d’Agatha Christie, l’humour caustique en plus. Avec une efficacité redoutable, et des dialogues incisifs à travers lesquels passe la véritable nature — parfois perverse — des personnages, Rian Johnson, qui se remet en selle après avoir été cloué au pilori à cause de Star Wars : The Last Jedi, qu’il a réalisé, propose une comédie policière à la fois drôle et captivante, qui apostrophe au passage l’état d’esprit d’une société en train de se replier complètement sur elle-même. La distribution de haut vol fait le reste.