(New York) Après une diffusion limitée en salles, l’épopée de Martin Scorsese The Irishman, thriller historique politico-mafieux, arrive sur Netflix mercredi, portée par une critique élogieuse et déjà pressentie pour les Oscars.

Autour de 160 millions de dollars de budget, 117 lieux de tournage différents, 309 scènes distinctes, une distribution exceptionnelle, un film de près de 3h30, c’est l’une des productions les plus ambitieuses de la carrière du metteur en scène new-yorkais, qui en compte pourtant beaucoup.

Après Mean Streets, Goodfellas et Casino, Martin Scorsese cherchait un matériau suffisamment fort pour replonger dans les arcanes de la mafia italo-américaine.

Robert De Niro et Martin Scorsese ont commencé à tourner autour de l’adaptation du livre I Heard You Paint Houses de Charles Brandt il y a 12 ans.

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Martin Scorsese à son arrivée pour l'avant-première de son nouveau film à Los Angeles, le 24 octobre dernier.

Après huit collaborations, de Mean Streets à Casino, «je ne voulais pas faire un film avec lui si nous ne pouvions pas aller plus en profondeur», a expliqué Martin Scorsese lors d’un événement organisé par l’American Film Institute à Los Angeles.

«Il y a eu des contretemps», a-t-il dit pudiquement lors d’une table ronde après la projection, au festival du film de New York. «Nous ne parvenions pas à trouver les fonds. Il n’y avait pas moyen. Pendant des années.»

Après le refus de plusieurs studios, il aura fallu la puissance financière de Netflix pour aboutir à The Irishman, le surnom du mafieux Frank Sheeran, dont le témoignage constitue la trame du livre et du film.

Le long métrage est sorti dans un nombre limité de salles en novembre en Amérique du Nord, avant d’être mis en ligne sur Netflix mercredi.

Ancien homme de main, Frank Sheeran raconte qu’il a tué plus de 25 personnes sur ordre du chef mafieux Russell Bufalino et du patron du syndicat des chauffeurs routiers, Jimmy Hoffa.

Le temps des regrets

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Al Pacino et Robert De Niro dans une scène de The Irishman.

Au cahier des charges, la production a ajouté un nouveau procédé technique développé par Industrial Light & Magic (ILM, société créée par George Lucas), le «de-aging», qui permet de rajeunir un acteur ou une actrice à l’écran.

Robert De Niro, 76 ans, devait en effet incarner Frank Sheeran de 1955, à l’âge de 34 ans, jusqu’à sa mort, en 2003 (à 83 ans).

Ils «devaient trouver une solution de rajeunissement qui n’interfère pas avec (le jeu) de Bob (De Niro), Joe (Pesci) et Al (Pacino)», a expliqué Martin Scorsese, «qu’ils n’aient pas à se parler en portant des casques ou des balles de tennis sur le visage. Ils ne l’auraient pas fait.»

ILM est finalement parvenu à ses fins grâce aux caméras et sans appareiller les acteurs.  

Passées quelques minutes troublantes, pour qui a déjà vu jouer Robert De Niro, le stratagème technique fonctionne globalement, de même que pour Al Pacino (79 ans), qui campe Jimmy Hoffa, quadragénaire dans certaines scènes.

La première réaction de De Niro en se voyant rajeuni? «Je pourrais rallonger ma carrière de 30 ans», a-t-il dit le sourire en coin, lors de la présentation du film à New York.

Avec The Irishman, Martin Scorsese retourne à la veine des films de gangsters qui ont fait sa légende, mais avec une trame plus proche de faits et de personnages réels.

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Robert De Niro, Martin Scorsese et Al Pacino.

Les liaisons dangereuses entre politique, syndicalisme et crime organisé, piliers de la société américaine des années 60, font office de fil conducteur.

Le film abandonne un peu de la tension qui animait ces œuvres pour prendre du recul, celui de Frank Sheeran, vieil homme qui, à coups de flashbacks, fait le bilan de sa vie et passe le tout au crible de la moralité.

Pour Scorsese, 77 ans, cette réflexion sur le temps qui passe est aussi la sienne et celle des De Niro, Pacino, Joe Pesci ou Harvey Keitel.

«Nous avons 75, 76 ans. On regarde dans le rétroviseur», a-t-il expliqué lors de l'événement d'AFI. «Vous repensez aux choses que vous avez faites dans votre vie, ou à celles que vous auriez voulu faire» et «aux conséquences».

Regrets, remords, rédemption, pour Sheeran comme pour eux, la question se pose, explique le réalisateur oscarisé pour The Departed. «Et même si vous essayez de vous racheter, qui le saura? Personne.»