(Paris) J’accuse, la reconstitution de l’affaire Dreyfus par Roman Polanski, est sorti mercredi dans 520 salles en France sur fond de polémique, le réalisateur étant visé par une nouvelle accusation de viol qui embarrasse le cinéma français.

Après l’annulation d’une avant-première à Paris mardi en raison d’un blocage de dizaines de féministes, le mot-clic #BoycottPolanski est apparu sur les réseaux sociaux, tandis que certains y détournaient les affiches du film, transformant le J’accuse en «J’abuse» ou «J’acquitte».

«Je n’irai pas voir le film de Polanski, je ne veux pas faire la démarche d’aller acheter une place de cinéma dans le contexte qu’on connaît», a affirmé mercredi la secrétaire d’État chargée de l’Égalité femmes-hommes Marlène Schiappa sur la radio RTL, refusant pour autant d’être «dans l’appel au boycottage».

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Des féministes ont manifesté devant la salle de cinéma Le Champo, mercredi, dans le 5e arrondissement de Paris.

Ce long métrage a connu un bon démarrage dans la capitale, selon les chiffres du Film français, en dépit de la promotion perturbée ces derniers jours, avec par exemple l’annulation d’interviews par les acteurs Jean Dujardin et Emmanuelle Seigner, la femme de Roman Polanski.

La presse s’interroge sur la façon de parler du film, quelques jours après les accusations de la photographe Valentine Monnier, qui dit avoir été «rouée de coups» et violée par le réalisateur franco-polonais en 1975 à l’âge de 18 ans, en Suisse. Une accusation rejetée «avec la plus grande fermeté» par l’avocat du cinéaste.  

Critique embarrassée

«À la lumière de cette actualité, comment évoquer J’accuse d’un seul point de vue esthétique?», écrit ainsi Télérama, pour qui le film se nimbe d’«une lumière différente». Le journal satirique Charlie Hebdo a fait sa couverture sur la polémique, semblant défendre Polanski, particulièrement ciblé sur la toile.

«Les cinémas ont le droit de projeter ce film et les gens ont le droit fondamental d’aller le voir. Mais on ne peut pas faire comme si valoriser le film ne participait pas au verrouillage du secret», a déclaré la féministe Caroline De Haas, du collectif #NousToutes.

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Une affiche du nouveau Polanski dans un cinéma à Paris.

À l’inverse, la réalisatrice Nadine Trintignant a pris la défense de Roman Polanski : «Je trouve très grave de l’embêter en ce moment, où il y a une remontée de l’antisémitisme en Europe», a-t-elle dit sur la chaîne de télévision BFMTV, affirmant qu’elle «aurait plutôt tendance à le croire lui qu’une femme qui a mis 44 ans à réfléchir pour le dénoncer».

Ces déclarations ont indigné de nombreux internautes, y voyant une défense à géométrie variable, Nadine Trintignant s’étant prononcée pour l’arrêt des activités artistiques du chanteur Bertrand Cantat, condamné pour la mort en 2003 de sa compagne, l’actrice Marie Trintignant.

À l’avant-première de J’accuse mardi aux Champs-Élysées, à Paris, en présence de l’équipe du film dont Roman Polanski, beaucoup d’invités ont dit «dissocier l’homme du réalisateur».

L’homme et l’œuvre, le débat

La nouvelle affaire Polanski, sous le coup de poursuites de la justice américaine depuis 1977 pour relations sexuelles illégales avec une mineure, arrive à un moment où le mouvement #metoo prend de la vigueur en France après les déclarations d’Adèle Haenel qui a accusé le réalisateur Christophe Ruggia d’«attouchements» et de «harcèlement» quand elle était adolescente.

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Roman Polanski

Thriller sur fond d’espionnage, J’accuse, raconte l’Affaire Dreyfus, un scandale majeur de la IIIe République qui a duré douze ans (1894-1906), du point de vue du lieutenant-colonel Georges Picquart, le chef des services de renseignement.

Jean Dujardin y campe le rôle du lieutenant-colonel, Emmanuelle Seigner sa maîtresse et Louis Garrel le capitaine Dreyfus.

La polémique avait rattrapé Roman Polanski à Venise quand des féministes avaient regretté la sélection en compétition à la Mostra du réalisateur multi-récompensé, qui a déjà été visé ces dernières années par trois autres accusations de viols, qu’il a réfutées.  

J’accuse a été récompensé du Grand Prix du jury à la Mostra, mais il a aussi suscité des réserves, notamment parce que Roman Polanski avait dit à plusieurs reprises qu’il voyait dans cette affaire un écho à sa propre histoire, s’estimant «persécuté».