Pour évoquer la désillusion d’une génération qui aurait dû changer le monde pour le mieux, le cinéaste Theodore Ushev propose un film d’animation dans lequel le thème de la filiation père et fils s’est aussi imposé de lui-même. D’où la participation de Donald Sutherland à un film narré par son fils Rossif.

Le nouveau film de Theodore Ushev, cinéaste québécois d’origine bulgare à qui l’on doit notamment Vaysha l’aveugle (finaliste aux Oscars en 2017), existe en deux versions semblables, mais distinctes. La narration de Physique de la tristesse, que nous pourrons voir prochainement, est assurée par Xavier Dolan. Celle de The Physics of Sorrow, par Rossif Sutherland. À l’instar du festival de Toronto, où le film a reçu une mention honorable, on propose demain au Festival du nouveau cinéma de Montréal la version anglaise de ce puissant court métrage d’animation de 27 minutes.

« Tous les films que j’ai faits jusqu’à maintenant étaient identiques en français et en anglais, explique le cinéaste. Or, il y avait quand même une version qui fonctionnait toujours mieux que l’autre. Là, j’ai voulu que les deux versions soient à la même hauteur. Une fois le montage en français terminé, j’ai monté le film en anglais comme si la première version n’existait pas. On trouve quelques différences dans le texte, et le film n’est pas tout à fait le même non plus sur le plan visuel. »

Les narrations de Xavier et de Rossif n’ont pas du tout la même tonalité, mais leurs voix correspondent parfaitement à celles que j’avais en tête en écrivant les deux versions du film.

Theodore Ushev

Une capsule dans l’espace

Inspiré d’un roman de l’écrivain bulgare Guéorgui Gospodinov, Physique de la tristesse retrace le parcours d’un inconnu naviguant à travers ses souvenirs de jeunesse dans son pays natal, lesquels le ramènent à la mélancolie plombant sa vie d’adulte dans son pays d’adoption, liée en outre au déracinement.

« L’histoire contenue dans ce livre m’a beaucoup parlé, précise le cinéaste. C’était mon histoire. Et celle de ma génération. Je suis né en 1968 et j’ai pratiquement commencé ma vie d’adulte au moment de la chute du mur de Berlin, en 1989. Je fais partie d’une génération portée par l’espoir d’un monde meilleur et qui a failli à ses idéaux. Ce film, c’est un peu comme une capsule que j’envoie dans l’espace et qui, je l’espère, retombera sur les plus jeunes générations. Puissent-elles réussir la révolution que nous n’avons pas été capables de faire. »

PHOTO FOURNIE PAR L’OFFICE NATIONAL DU FILM DU CANADA

Theodore Ushev, réalisateur du film d’animation The Physics of Sorrow

Comme pour assurer la pérennité de son message, Theodore Ushev a choisi d’emprunter une technique remontant à l’Antiquité pour élaborer ses dessins. La technique de l’encaustique, ou peinture à la cire chaude, était en effet utilisée à l’époque des Pharaons pour créer des portraits réalistes des morts sur les sarcophages.

« Et ces portraits ont traversé les siècles !, fait remarquer le cinéaste. Je me disais que ce serait bien d’utiliser la même technique, mais le problème, c’est que personne n’avait jamais fait ça en animation. Le premier plan que j’ai créé a d’ailleurs été un désastre. Il m’a fallu deux ou trois mois pour apprivoiser la technique. Il n’était cependant pas question d’abandonner, car tout le film est lié au concept de la mémoire. »

Rossif Sutherland a eu l’occasion d’observer le cinéaste au travail. Ce dernier était installé dans une petite salle, sans fenêtre, car la technique de l’encaustique exige un éclairage qui ne supporte aucune variation.

« Theodore travaillait debout, en se penchant vers sa table, et chacun de ses dessins représentait une scène du film, qu’il photographiait pour ensuite ajouter les détails un par un, avec chaque fois une photographie. C’était extraordinaire de voir ça ! »

Des pères célèbres

Inconsciemment, un autre thème est venu s’ajouter au propos du film : celui du père. Cette idée est d’ailleurs venue au cinéaste très tard dans le processus, à la faveur d’un personnage de maître de cirque auquel Manuel Tadros, père de Xavier Dolan, a d’abord prêté la voix dans la version française. L’idée a fait son chemin au point où Donald Sutherland, père de Rossif, a ensuite fait de même dans la version anglaise. Sur le plan symbolique, ce choix est puissant, dans la mesure où le cinéaste et le narrateur travaillent dans des domaines où leurs pères respectifs sont des sommités.

« Mon père était peintre, raconte Theodore Ushev. Il est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands artistes bulgares, mais à l’époque communiste, il était très surveillé par les autorités parce qu’il refusait de faire du réalisme social, préférant la peinture abstraite. Plusieurs de ses œuvres ont été détruites. On lui reprochait de faire de l’art capitaliste. Je n’ai jamais voulu devenir peintre, car je savais que je ne pourrais jamais être aussi bon que mon père. Je ne voulais pas que les gens comparent. »

PHOTO ALBERTO PIZZOLI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Rossif Sutherland, qui assure la narration de The Physics of Sorrow, joue aussi dans Guest of Honour, un film d’Atom Egoyan lancé à la Mostra de Venise.

Rossif Sutherland, qui joue notamment dans Guest of Honour, le plus récent film d’Atom Egoyan, a choisi d’exercer la même profession que son célèbre père, mais le chemin pour y arriver fut plus inattendu.

« Je n’ai certainement pas la même carrière que mon père, mais je suis quand même tombé amoureux de ce métier, explique-t-il. Jusqu’à l’âge de 21 ans, je ne voulais pourtant pas être acteur du tout. Même si j’adorais accompagner mon père sur les plateaux, je ne comprenais pas ce désir de vouloir être quelqu’un d’autre devant une caméra. J’étais complètement fasciné quand je le voyais sur grand écran, mais j’étais surtout intéressé par l’histoire que le film racontait. Puis, à Princeton, où j’étudiais en philosophie – je voulais écrire –, une copine tournait un court métrage en guise de travail de fin de session et m’a demandé d’en assurer la réalisation. Pourquoi pas ? Or, l’acteur principal ne s’est jamais présenté et j’ai dû jouer à sa place. J’ai toujours été entouré d’acteurs dans ma vie, mais le destin a pris une autre façon de me faire comprendre que le mien se trouvait là aussi. »

The Physics of Sorrow sera présenté dans le cadre du programme Courts métrages, compétition nationale les nouveaux alchimistes, le 17 octobre à 21 h 15 à la Cinémathèque québécoise.