(Londres) Un nouvel éclairage sur des événements qui ont bouleversé l’histoire de son pays : le réalisateur iranien Taghi Amirani met en lumière dans son dernier film le rôle du Royaume-Uni dans le renversement du premier ministre iranien en 1953.

Son film, Coup 53, projeté le week-end dernier au Festival du film de Londres, met en exergue de nouveaux éléments prouvant le rôle majeur d’un espion britannique dans la chute du premier ministre Mohammad Mossadegh, une opération secrète menée avec l’aide de la CIA.

Les États-Unis avaient admis leur rôle en 2013 lors de la publication d’archives de la CIA, mais les Britanniques n’ont jamais reconnu leur rôle majeur.

Amirani, ex-physicien devenu réalisateur plusieurs fois récompensé, est installé à Londres depuis 45 ans. Il affirme que la découverte de preuves qu’un agent du renseignement britannique, le MI6, avait coordonné l’opération représente « un éclairage monumental ».

« En un sens, cela confirme ce que les Iraniens disent depuis des dizaines d’années », déclare-t-il à l’AFP à l’occasion du festival, où son film est en compétition pour le prix du meilleur documentaire.

Nommé premier ministre en 1951 puis une deuxième fois en 1952, Mossadegh s’est rapidement forgé une forte popularité, mais a suscité l’ire des Britanniques en voulant prendre le contrôle de la Compagnie pétrolière anglo-iranienne, ancêtre du géant BP.

Soupçons d’intervention du gouvernement

Il a aussi suscité la colère du Shah Mohammad Reza Pahlavi en essayant de limiter ses pouvoirs et le monarque a dû quitter un peu plus tard la même année un pays en proie à la contestation.

En août 1953, Mossadegh est arrêté lors d’un coup d’État militaire. Il passera trois ans en prison avant d’être placé sous résidence surveillée jusqu’à sa mort, en 1967.

Le shah est rentré en Iran tout de suite après l’éviction pour régner pendant presque 30 ans, avant d’être renversé lors de la révolution islamique de 1979.

Avec le réalisateur oscarisé Walter Murch, Amirani dévoile images d’archives inédites, entretiens avec des intervenants de l’époque et nouveaux éléments pour passer les événements au peigne fin.

Le duo est tombé sur un documentaire télévisé britannique des années 1980 qui avait identifié et interviewé un ancien du MI6, Norman Darbyshire, qui a reconnu avoir imaginé le coup.

Aujourd’hui décédé, l’agent ne figure pas dans la version alors diffusée du documentaire, entraînant des soupçons d’intervention du gouvernement.

Mais Amirani a mis la main sur une retranscription de l’interview, que le réalisateur a fait jouer par le comédien Ralph Fiennes pour incarner l’ex-espion, qui déclarait : « De notre côté, le déroulement du coup d’État relevait de ma responsabilité ».

Sollicité, le ministère des Affaires étrangères britannique n’a pas donné suite.

« L’histoire qu’on ignore »

Pour le réalisateur de 59 ans, faire un film sur la chute de Mossadegh était « une affaire personnelle » : « Petit, j’ai grandi dans les suites du coup d’État qui a permis l’avènement du shah pendant 25 ans ».

Sa curiosité a été piquée après avoir vu des images du premier ministre déchu lors de manifestations prodémocratie en Iran en 2009. Le fait que les choses auraient pu être radicalement différentes si Mossadegh était resté au pouvoir a résonné en lui.

« Pour beaucoup, moi y compris, il représentait les espoirs et les rêves d’un Iran démocratique et laïque », explique le réalisateur.

Pendant la dizaine d’années de maturation du documentaire, les tensions entre l’Iran et l’occident se sont nettement accrues. En particulier entre Téhéran et Londres à propos de prisonniers ayant la double nationalité et des retenues de pétroliers de chaque pays.

Selon Amirani, les événements de 1953 sont « plus éclairants que jamais » et permettent de comprendre les tensions croissantes actuelles entre Iran, Royaume-Uni et États-Unis. L’histoire donne l’impression de se répéter. « Plus nous avancions dans le film, plus sa pertinence grandissait », estime-t-il.

Aux yeux du réalisateur, le film ne dit pas autre chose que cette citation de l’ex-président américain Harry Truman : « Ce qu’on dit être nouveau en ce monde, c’est l’histoire qu’on ignore ».