L’homme noir américain est-il un étranger dans sa propre maison ? On peut le croire après avoir vu The Last Black Man in San Francisco, le très beau et touchant film de Joe Talbot, l’un des coups de cœur du dernier festival de Sundance. Sur un ton poétique, voire épique, le réalisateur illustre la dérive d’un jeune Afro-Américain dans une ville qui a vendu son âme à la nouvelle économie. 

On suit l’odyssée de Jimmie Fails (le personnage et aussi l’acteur du même nom qui joue un rôle semi-autobiographique) dans un San Francisco en pleine mutation. À la recherche d’une maison, d’une communauté et d’une fraternité. Rarement un film nous a montré avec autant de sensibilité l’amitié et la tendresse au masculin de jeunes Noirs aux États-Unis.

En attendant d’avoir un logis à lui, Jimmie crèche chez son bon ami Montgomery (excellent Jonathan Majors) qui vit avec son vieux père aveugle (Danny Glover). Le jeune infirmier passe ses temps libres à regarder des films noirs à la télévision (on entend sans le voir le début de Mort à l’arrivée, le classique de Rudolph Maté) ou à faire de la planche à roulettes dans les rues escarpées de la ville. Clandestinement, Jimmie va aussi retaper la façade de la maison que son grand-père a construite, puis perdue, dans un quartier historique.

La vie est un songe

Or un jour, cette maison victorienne se libère. Avec l’aide de son ami, Jimmie tente de reprendre possession du trésor de son aïeul. Toutefois, tel Ulysse cherchant son Ithaque, l’odyssée de Jimmie est semée d’obstacles. Il se battra seul pour rester digne envers et contre tous.

Dès les cinq premières minutes, au son de Musique à grande vitesse de Michael Nyman, ce film nous happe, nous envoûte, nous enveloppe avec son regard doux et profond sur les êtres et les choses.

Pour son tout premier long métrage, Joe Talbot fait preuve d’une formidable maîtrise de son art. Et d’un sens inné de l’image, de la lumière et du cadrage. Le cinéaste filme le San Francisco de son imaginaire, à mille lieues des cartes postales. Il expose ses quartiers, ses rues, ses immeubles, ses recoins par touches impressionnistes.

Noir et blanc

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

The Last Black Man in San Francisco

Le réalisateur, qui est blanc, a écrit cette histoire avec Jimmie Fails, son meilleur ami dans la vie. Ici, les Blancs ont tous des rôles secondaires, voire schématiques. Ces personnages passent rapidement sur la route de Jimmie et de Montgomery, comme s’ils parlaient une langue étrangère. 

La magnifique photographie d’Adam Newport-Berra sert autant de fil narratif que l’histoire du protagoniste. Le récit se fait, se défait et se replie sur lui-même comme dans un songe.

Au final, Jimmie entraîne le spectateur dans son imaginaire étrange et pénétrant, mélancolique et lumineux. On y accède par illuminations, comme ces faisceaux irradiants à travers les brumes au-dessus de la baie de San Francisco, dans la scène où il rame en solitaire vers le Golden Gate. 

En illustrant l’inaccessible quête de Jimmie, The Last Black Man… plonge au fond de l’âme de la jeunesse afro-américaine, belle et dépossédée, fraternelle et révoltée. Une jeunesse portée par le dur désir d’être, enfin, chez soi.

★★★★

The Last Black Man in San Francisco. Drame de Joe Talbot. Avec Jimmie Fails, Danny Glover, Jonathan Majors. 2 h.

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