Témoin privilégié de la naissance du Québec moderne dont il a su capter plusieurs grands moments à la caméra, Jean-Claude Labrecque est mort dans la nuit de jeudi à vendredi à l'âge de 80 ans.

Homme d'une grande modestie, à la fois réalisateur, directeur photo et monteur, Jean-Claude Labrecque aimait se décrire comme un « chauffeur de kodak », magnifique sobriquet destiné à exprimer son amour du cinéma. Sa carrière s'est amorcée en parallèle avec le début de la Révolution tranquille.

Il fait ses premiers pas en solo dans le septième art en 1963 en apposant sa griffe de directeur photo à quelques films. Et pas les moindres ! Dans ses premières années de carrière, il collabore avec les réalisateurs Gilles Groulx (Un jeu si simple), Claude Jutra (À tout prendre), Gilles Carle (La vie heureuse de Léopold Z) ou encore Denys Arcand pour un de ses premiers films, Volleyball.

Durant la même période, il amorce sa propre carrière de réalisateur. Il signe, entre autres, la réalisation du court métrage sportif 60 cycles, une oeuvre ingénieuse produite par l'Office national du film sur le Tour cycliste du Saint-Laurent.

Le général de Gaulle

En 1967, Labrecque réalise un coup fumant. À l'approche de la visite très attendue du général de Gaulle dans le cadre d'Expo 67, il convainc l'Office de l'information et de la publicité de la province de Québec de tourner un film sur l'événement.

À ce moment-là, à sa grande surprise, personne à l'ONF ou à l'Office du film du Québec ne semble emballé à l'idée de tourner un film sur cette visite. L'ONF met en boîte quelques séquences pour les actualités alors que l'Office du film du Québec, en froid avec le cabinet du premier ministre Daniel Johnson, boude l'événement.

« C'est une intuition que j'ai eue. Ça me semblait un événement important. [...] Je trouvais ça immonde que personne ne tourne de Gaulle. Ça n'avait pas de bon sens », dit Labrecque dans une entrevue en ligne sur le site de Télé-Québec.  

Avec quelques camarades dont Michel Brault, Bernard Gosselin, Pierre Mignot et Marcel Carrière, Labrecque tourne en 35 mm un film couleur qui, en une demi-heure, résume la visite du président français depuis l'arrivée du croiseur Colbert à Québec jusqu'à son départ de l'aéroport de Montréal, deux jours après avoir lancé son fameux « Vive le Québec libre ! ».

Labrecque et Claude Fournier, dans un autre film intitulé Du général au particulier, financé par l'Office du film du Québec, qui a changé d'idée à la dernière minute, seront les seuls cinéastes à immortaliser ce moment charnière de notre histoire. Les caméramans de la Société Radio-Canada ont aussi capté l'événement.

Le Québec

Du début à la fin d'une longue carrière étalée sur six décennies, Jean-Claude Labrecque a tourné de nombreux documentaires sur l'épanouissement du Québec et sur plusieurs personnalités associées à l'histoire de la province. Que l'on pense simplement à ses deux films sur les Nuits de la poésie (1970, 1980), à ceux sur la poétesse Marie Uguay, sur Claude Gauvreau, Gaston Miron, Félix Leclerc, l'affaire Coffin, les Jeux olympiques de 1976, etc. En 2013 encore, il tournait un documentaire sur Maria Chapdelaine dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Intéressé par les mouvements politiques, Labrecque a signé la réalisation d'un film sur le RIN (produit par Marcel et Monique Simard) en 2002 et, bien entendu, À hauteur d'homme, film sur le premier ministre Bernard Landry durant la campagne électorale de 2003.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Claude Labrecque en décembre 2017

Il a réalisé également quelques films de fiction, dont Les vautours et Les smattes. Inspiré de sa propre histoire familiale, Les vautours mettait en vedette un jeune Gilbert Sicotte entouré de Jean Duceppe, Amulette Garneau, Monique Mercure, Denise Proulx et bien d'autres. Un autre de ses films, Le frère André, est un drame historique inspiré de l'histoire du célèbre religieux.

Tout en peaufinant de nombreuses oeuvres à titre de réalisateur, Jean-Claude Labrecque n'a jamais abandonné son travail de directeur photo. On l'a retrouvé sur quantité de films dont les siens, mais aussi comme directeur photo sur les films Entre la mer et l'eau douce de Michel Brault, La femme qui boit et La neuvaine de Bernard Émond.

Sa carrière fut jalonnée de prix prestigieux. En 1992, il a obtenu le Prix du Québec Albert-Tessier pour l'ensemble de son travail. Son film À hauteur d'homme a remporté le Jutra du meilleur long métrage documentaire en 2004. En 2008, il a obtenu le Jutra-hommage, une reconnaissance du milieu.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean-Claude Labrecque filmant le chef du Parti québécois, Bernard Landry, lors d'une entrevue réalisée pendant la campagne électorale de 2003

« Un homme qui a su saisir de façon remarquable notre histoire. Tous ceux qui ont travaillé avec lui s'en vantent ! Jean-Claude, sans vouloir insister sur ta maturité, tu es un pionnier de notre cinéma », avait alors lancé la comédienne Élise Guilbault avant de lui remettre son prix.

En 2009, M. Labrecque a publié son autobiographie, intitulée Souvenirs d'un cinéaste libre. Cosigné par sa conjointe Francine Laurendeau et publié aux éditions Art Global, l'ouvrage était dédié à ses trois fils Jérôme, Francis et Martin.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le Jutra-hommage a été remis à Jean-Claude Labrecque en 2008.