(CANNES) Il y a un mot débutant par la lettre « P » qui monopolise les conversations depuis le début du Festival de Cannes. Il n’y a pas une conférence de presse, pas un entretien avec une actrice ou une réalisatrice où il n’est pas question de parité. Épineuse question du reste.

Hier, c’était au tour de la cinéaste libanaise Nadine Labaki, qui préside le jury d’Un certain regard, de parler de plafond de verre à titre d’invitée de l’évènement Women in Motion, qu’organise depuis cinq ans le groupe de luxe Kering, partenaire du Festival.

« Les directeurs de festivals ne peuvent plus ignorer la question de la représentativité féminine, croit la réalisatrice de Capharnaüm, Prix du jury l’an dernier à Cannes, rencontrée dans une suite de l’hôtel Majestic donnant sur la baie de Cannes. Tout le monde en parle. Ce n’est plus un tabou. Mais on veut que les femmes soient présentes parce qu’elles le méritent. Je n’aime pas que l’on décrive un film comme un film de femme. Cela m’irrite. J’aime que l’on puisse le deviner dans sa sensibilité et son regard. Parce qu’un film réalisé par une femme offre une autre perspective. »

Nadine Labaki est consciente que son rapport à la question des femmes dans le cinéma est modelé par ses origines (et sans le nommer, le machisme moyen-oriental) ainsi que par sa propre expérience de cinéaste. Elle a dû se battre pour faire ses films, dans un pays qui n’a pas d’industrie cinématographique.

Optimiste, elle se déclare contre l’imposition de quotas dans les festivals afin d’atteindre une parité hommes-femmes. « Ça va arriver éventuellement et naturellement, croit-elle. Les choses changent rapidement. Je ne sais pas si un panel comme celui-ci sera encore pertinent dans quelques années. »

Julianne Moore, rencontrée la veille dans le même hôtel — lors de sa discussion avec Xavier Dolan et Werner Herzog —, n’est pas du même avis. « Nous ne sommes pas un lobby minoritaire, rappelle la comédienne. Nous formons 52 % de la population. Mais ce n’est pas facile de faire changer de cap un gros paquebot. »

« Il faudra faire des changements majeurs pour atteindre la parité. C’est la raison pour laquelle je suis en faveur de quotas. Il faut ouvrir des portes. Mais on ne peut tout changer d’un coup. Il faut le faire graduellement. C’est la seule façon de faire. »

L’an dernier, 82 femmes, dont la présidente du jury Cate Blanchett et la regrettée Agnès Varda, ont symboliquement gravi les marches du Palais des festivals pour attirer l’attention sur l’absence de parité au Festival de Cannes. En 71 éditions, seulement 82 femmes avaient été sélectionnées en compétition, contre 1688 hommes.

PHOTO ANTONIN THUILLIER, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’an dernier, 82 femmes ont symboliquement gravi les marches du Palais des festivals pour attirer l’attention sur l’absence de parité au Festival de Cannes.

Dans la foulée, le Festival s’est engagé à respecter la Charte pour la transparence du collectif 5050x2020, dont il fut le premier signataire. Et cette année, il y a un nombre record de femmes en compétition : c’est-à-dire 4… sur 21. On a les records qu’on peut… La réalisatrice Mati Diop, 36 ans, présentait d’ailleurs hier Atlantique, un premier long métrage intimiste sur le sort des migrants africains. Suivront au cours des prochains jours les films de Jessica Hausner, de Justine Triet et de Céline Sciamma, par ailleurs militante du mouvement 5050x2020.

Le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, se défend de ne pas être à la hauteur des attentes des féministes. Et se demande si l’on peut exiger la parité des genres en compétition alors que moins du dixième des films dans le monde sont réalisés par des femmes. « On nous demande des choses qu’on ne demande pas à d’autres festivals, a-t-il déclaré en conférence de presse, à la veille du début du présent Festival. On aimerait, des fois, ne pas être seuls à porter ce fardeau. On nous demande d’être irréprochables. »

Cannes n’est que la pointe de l’iceberg de l’iniquité de la représentation des sexes dans le cinéma mondial. Ce qu’a souligné lors de la conférence de presse du jury la cinéaste italienne Alice Rohrwacher. 

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, AGENCE FRANCE-PRESSE

La réalisatrice Mati Diop présentait 
hier Atlantique, un premier long métrage 
intimiste sur le sort des migrants africains.

« On dit qu’il n’y a pas assez de femmes [à Cannes], mais l’on fait cette critique au dernier moment du processus. Ce n’est pas au dernier moment qu’il faut réparer les choses. »

Mais le Festival, quoi qu’en dise Thierry Frémaux, n’est pas le seul évènement du genre à porter ce « fardeau ». D’autres festivals de cinéma ont décidé d’agir. Cette année, le Festival de Sundance a sélectionné 53 % de femmes en compétition, et le Festival de Berlin, 44 %, selon Women in Motion. Il faut dire que le Festival de Cannes a un côté « vieille France » bien ancré et une tradition de machisme avec laquelle certains ne semblent pas vouloir rompre.

Une chose que l’on ne peut reprocher au Festival, c’est de manquer de transparence. Dès le jour d’ouverture, il a respecté son engagement envers le groupe 5050x2020 et rendu publiques ses statistiques sur la parité, en soulignant au passage les avancées en la matière. « On peut noter que les deux ouvertures respectent la parité, avec le film de Jim Jarmusch en compétition et celui de Monia Chokri à Un certain regard », a souligné le Festival.

Sur les 1845 longs métrages proposés à la sélection officielle (compétition et Un certain regard), 26 % ont été réalisés par une femme. La compétition compte 19 % de femmes et Un certain regard — « l’antichambre de la compétition » — réunit 8 réalisatrices et 11 réalisateurs, soit 42 % de femmes. En tout, 20 réalisatrices font partie de la sélection officielle cette année contre 11 en 2018, 12 en 2017, 9 en 2016 et seulement 6 en 2015.

Comme le souligne Nadine Labaki, les choses changent. Mais changent-elles aussi rapidement qu’elle le croit ? Il est permis d’en douter. Le plafond de verre se fissure, certes, mais tout doucement. Rappelons qu’une seule Palme d’or a été remise à une femme en 72 Festivals de Cannes depuis 1946 : celle de Jane Campion pour La leçon de piano en 1993. Ça fait un bail…

Décollage réussi pour Rocketman

PHOTO JEAN-PAUL PELISSIER, REUTERS

Elton John a assisté à la projection de Rocketman, film biographique que lui consacre Dexter Fletcher.

J’ai monté les marches du Palais hier soir au son de I’m Still Standing et j’ai failli trébucher sur la traîne de la robe d’une mannequin/actrice qui posait pour les photographes du tapis rouge. Elles traînent partout, ces traînes (s’cusez-la). J’avais mis le nœud papillon que m’a prêté le beau-frère. Dans mon complet bleu, j’avais la fière allure d’un animateur de RDS. Denise Bombardier peut être rassurée. Pendant un instant, j’ai cru qu’un photographe me hélait au loin. Peut-être m’a-t-il confondu avec Jim Jarmusch ?

Elton John s’est assis trois rangées derrière moi dans le Grand Théâtre Lumière, ses verres fumés roses en forme de cœurs sur le nez, un veston avec l’inscription Rocketman en lamé argent sur le dos. Le film biographique que lui consacre Dexter Fletcher, qui a terminé dans l’anonymat le travail commencé par le réalisateur Bryan Singer sur Bohemian Rhapsody, est à mon avis supérieur au biopic sur Freddie Mercury. Moins lisse — on voit des fesses, de la consommation de drogue —, moins complaisant, plus original. Mais le grand absent de cette comédie musicale aux accents d’opéra rock est de taille : Elton John et sa voix unique (on a préféré celles des acteurs). C’est moins… engageant. On vous en reparle demain.

Des fleurs pour Monia Chokri

PHOTO FOURNIE PAR METAFILMS

Anne-Élisabeth Bossé dans La femme de mon frère, de Monia Chokri

Le très influent magazine spécialisé Hollywood Reporter n’avait que de bons mots pour La femme de mon frère de Monia Chokri dans son numéro d’hier. Dans une longue critique pleine page, le critique Boyd van Hoeij parle d’un film charmant et agréable. « Même si [la description du scénario] laisse croire à une comédie de studio avec Amy Schumer, c’est un film adorable, comique et parfois mélancolique », aux « performances joliment modulées » des acteurs Anne-Élisabeth Bossé, Patrick Hivon et Evelyne Brochu. Malgré quelques réserves, le magazine estime que « La femme de mon frère confirme que Monia Chokri est une réalisatrice talentueuse à suivre, et qui a quelque chose à dire ».

De son côté, le quotidien français Le Monde décrit le film de Monia Chokri comme « une comédie décalée, menée au rythme d’un montage syncopé et de dialogues mitraillette ». La critique de Mathieu Macheret est enthousiaste, malgré des bémols. « La mise en scène très volontariste de Monia Chokri parvient par moments à susciter de véritables bouffées de poésie loufoque », écrit-il.

Un « western » inachevé

Kleber Mendonça Filho avait séduit Cannes en 2016 avec l’excellent drame social Aquarius. Cette fois, en compagnie de Juliano Dornelles, il présente en compétition Bacurau, fable sanglante sur les cycles de violence et les manipulations politiques, aux relents de western brésilien des temps modernes.

Un village reculé du Brésil, décalé et hors du temps, a pratiquement été rayé de la carte. Il est assiégé par des forces inconnues, rationné en eau, médicaments et vivres. Des fermiers voisins ont été assassinés. Pourquoi ? À quel dessein une milice internationale de suprémacistes blancs a-t-elle pris pour cible ces villageois ? On aime la réalisation fluide et la bande sonore futuriste. Mais la violence gratuite de certains personnages plus caricaturaux, dont on ne comprend pas les réelles intentions, laisse une impression d’inachevé.