(Toronto) Pour le cinéaste allemand Werner Herzog, l’ascension et la chute de l’ancien président soviétique Mikhaïl Gorbatchev représentent non seulement une tragédie personnelle, mais également un échec politique d’envergure mondiale.

Le nouveau documentaire de Herzog, Meeting Gorbachev, décrit les efforts du leader communiste pour ouvrir l’Union soviétique au monde extérieur, ce qui a préparé le terrain pour la chute du rideau de fer.

Mais Herzog craint que la promesse de «zone de paix» s’étendant de Vancouver à Vladivostok par M. Gorbatchev ait été gaspillée au moment où la reprise des hostilités entre la Russie et l’Occident fait craindre le spectre de la guerre froide.

«Ce qui était intéressant pour moi, c’est la dynamique qui régit les relations internationales au-delà de M. Gorbatchev», a déclaré Herzog dans une entrevue accordée à André Singer, coréalisateur de Meeting Gorbachev, au Festival international du film de Toronto l’automne dernier.

«Le sentiment est toujours présent dans les conversations avec M. Gorbatchev : combien de chances avons-nous manquées depuis?»

Pendant une période de six mois, Herzog a mené trois entretiens avec M. Gorbatchev, qui s’est confié au sujet de sa trajectoire politique l’ayant fait passer de réformateur avant-gardiste à bouc émissaire de la chute de l’Union soviétique.

Herzog dresse un portrait élogieux de son sujet. À un moment donné, il dit à M. Gorbatchev qu’il l’aime pour son leadership lors de la réunification de l’Allemagne.

Une foule de dignitaires internationaux dans le film font écho à cet éloge, affirmant que le contact diplomatique de M. Gorbatchev a contribué à forger un accord de désarmement nucléaire avec l’ancien président américain Ronald Reagan.

AFP

Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan à Reykjavik en octobre 1986.

En entrevue à La Presse canadienne, Herzog a dressé un parallèle entre le rapport «improbable» de MM. Gorbatchev et Reagan lors du sommet de Reykjavik en 1986 et la réunion au sommet «encore plus improbable» entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un et le président américain Donald Trump à Singapour l’année dernière.

«Ils se parlent, et nous devrions avoir du respect pour cela. Peu importe ce que vous pensez de M. Trump, peu importe ce que vous pensez de Kim Jong-un», a déclaré Herzog.

Les mêmes réalisations qui ont fait de M. Gorbatchev une «mascotte» en Occident — en particulier son rôle réticent dans la dissolution de l’Union soviétique — en ont fait un «traître» pour de nombreux Russes, a souligné Herzog.

Depuis la mort de son épouse bien-aimée en 1991, cet homme âgé de 88 ans vit en Russie dans un isolement relatif, la majeure partie de sa famille ayant déménagé à l’étranger.

«Il vit dans une solitude fondamentale, d’une certaine manière, et ce n’est pas seulement une tragédie personnelle. Je pense que cela a quelque chose de très russe», a avancé Herzog.

Selon le cinéaste, la vision non réalisée de M. Gorbatchev d’une «maison de la paix commune» entre la Russie et l’Occident peut être interprétée comme un récit édifiant pour les dirigeants politiques d’aujourd’hui : déposez vos armes et ouvrez un dialogue — sinon, le monde en paiera le prix.

«Nous constatons les nombreuses occasions manquées et je pense que la guerre froide est une forme anormale de relations internationales», a déclaré Herzog. «Nous devrions probablement nous écarter du discours sur la diabolisation de la Russie. Ce n’est pas productif, car la Russie serait une alliée naturelle et merveilleuse pour l’Occident.»

Meeting Gorbachev sortira vendredi dans les salles de Toronto, Vancouver et Waterloo, en Ontario. Il prendra ensuite l’affiche à Ottawa, Victoria, Calgary et dans d’autres villes canadiennes au cours du mois.