L’industrie du cinéma québécois a poussé un grand soupir de soulagement, hier, à la suite de l’annonce, faite par le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, qu’une somme supplémentaire de 10 millions de dollars avait été rassemblée pour financer la production de films francophones au cours de l’année budgétaire 2019-2020.

Sans cette somme, plusieurs projets de tournage prévus dans les prochains mois risquaient de ne pas démarrer, faute d’un montage financier adéquat.

Cinq semaines après avoir été mis au fait de la situation, le ministre Rodriguez a trouvé des fonds supplémentaires de 7,5 millions de dollars dans les coffres de l’État. Non récurrente, cette somme sera remise à Téléfilm, qui en fera la gestion. À cela s’ajoute une somme de 2,5 millions que Téléfilm a dégagée par une révision de ses propres programmes.

«  C’est une excellente journée pour tout le milieu du cinéma québécois, a indiqué M. Rodriguez au cours d’une entrevue accordée à La Presse tout de suite après la rencontre. Je suis allé chercher des fonds supplémentaires au sein du gouvernement canadien. » 

« En me rencontrant à Ottawa le 4 avril, les producteurs ont fait part d’un besoin supplémentaire de 10 millions. J’ai compris le message et fait le nécessaire. Cela répond aux demandes formulées. »

Les décisions annoncées hier permettent de compenser un manque à gagner colossal auquel faisait face Téléfilm pour le financement de films francophones en 2019-2020. Le manque à gagner provenait d’une ancienne pratique de la société d’État, qui remettait des lettres d’engagement anticipé pour certains projets analysés dans le volet dit participatif (à évaluer minutieusement).

Or, les engagements anticipés devenaient de plus en plus importants au fil des ans. Ainsi, en 2018-2019, Téléfilm avait déjà signalé à des producteurs un engagement financier de 7,7 millions sur son budget 2019-2020 alors que l’enveloppe du volet participatif pour les projets francophones est d’environ 11 millions.

Au cours des derniers jours, les producteurs et Téléfilm se sont disputés publiquement à propos de cette méthode, les uns disant qu’elle était efficace depuis toujours, les autres répliquant que le modèle n’était plus du tout adéquat. Téléfilm va d’ailleurs faire appel à un vérificateur externe indépendant pour examiner sa mécanique de financement et proposer des changements.

Invité à dire si cette méthode est à revoir, le ministre Rodriguez renvoie cette question «  technique  » dans la cour de Téléfilm. «  Ce dont je veux m’assurer est que Téléfilm offre les meilleures conditions possible à nos producteurs. Il est important d’avoir un lien de confiance entre eux, qu’il se développe une relation solide. On est parmi les meilleurs au monde et mon travail est de faire en sorte de leur offrir les conditions optimales pour que cela continue.  »

Il a d’ailleurs annoncé la nomination d’un nouveau président au conseil d’administration, Robert Spickler, qui remplace G. Grant Machum, président par intérim. Fort de 40 ans d’expérience dans le milieu culturel, Robert Spickler a occupé des fonctions dans plusieurs organismes, dont l’Orchestre symphonique de Montréal, le Théâtre du Nouveau Monde, le Centre canadien d’architecture, le Théâtre d’Aujourd’hui, le Conseil des arts du Canada et le Conseil international des musées.

M. Machum demeure au conseil, où vient aussi d’être nommée Karen Horcher, comptable agréée.

Satisfaction générale

L’annonce a été faite à quatre représentants de l’industrie, soit Hélène Messier, directrice générale de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), les producteurs Pierre Even et Denise Robert, ainsi que Patrick Roy, président du distributeur Les Films Séville.

La directrice générale de Téléfilm Canada, Christa Dickenson, a assisté à cette rencontre tenue au bureau régional des ministres fédéraux, dans le Vieux-Montréal.

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE LA PRODUCTION MÉDIATIQUE

Hélène Messier, directrice générale de l’Association québécoise de la production médiatique

« C’est une excellente nouvelle. Pour le moment, cela répond aux besoins ponctuels. C’est une somme tout à fait satisfaisante », indique Hélène Messier, directrice générale de l’Association québécoise de la production médiatique.

« Le ministre est aussi conscient qu’il faudra voir comment, à long terme, on pourra augmenter le budget de Téléfilm Canada. À cet égard, il peut compter sur notre appui », poursuit celle dont l’organisme a été le fer de lance du mouvement pour réclamer une aide spéciale et urgente.

« Je remercie M. Rodriguez de nous avoir rencontrés, écoutés et d’avoir trouvé des solutions dans un aussi court laps de temps, indique Patrick Roy. On bâtit des liens entre les œuvres des créateurs et le public. Si, une année, beaucoup moins de films québécois sont présentés, ce lien risque de se briser.  »

Un regroupement de huit organismes culturels menés par l’AQPM a aussi diffusé une lettre au ministre Rodriguez pour le remercier. «  L’annonce d’aujourd’hui démontre que vous avez été à l’écoute et que vous reconnaissez l’importance de soutenir la production indépendante québécoise dont les œuvres cinématographiques se distinguent tant sur la scène nationale qu’internationale  », lit-on dans le texte.

Chez Téléfilm, la directrice générale Christa Dickenson a enfin exprimé son soulagement après avoir vécu des semaines difficiles. «  Nous devons maintenant continuer notre dialogue avec le gouvernement pour aller chercher plus de fonds, a-t-elle indiqué. Les dernières semaines n’ont pas été agréables, mais on va de l’avant pour rétablir la situation.  »

Toujours congédiés

En marge des annonces, le sort des trois directeurs récemment congédiés par Téléfilm, Michel Pradier, Roxanne Girard et Denis Pion, demeure non résolu. Selon ce qu’on a pu comprendre, leur départ subit est lié au système de gestion avec engagements anticipés.

Or, le milieu du cinéma, qui travaillait étroitement avec les deux premiers directeurs, n’entend pas les abandonner. 

«  Nous sommes toujours attristés par cette perte d’expertise. C’est un sujet dont nous voudrons discuter avec le nouveau président du conseil  », déclare Hélène Messier. «  L’argent règle une crise, mais le congédiement des trois directeurs reste un sujet de discussion  », ajoute Patrick Roy.

Mme Dickenson n’a pas voulu aborder cette question pour des raisons de confidentialité.