La décision de Téléfilm de mettre au rencart la pratique de financement anticipé sur ses budgets futurs sème la crainte des producteurs qui, ironiquement, rappellent que c’est grâce à cette façon de fonctionner si le nouveau film de Xavier Dolan, Matthias et Maxime, se retrouvera en compétition officielle dans quelques jours à Cannes.

C’est ce que répliquent les représentants de neuf associations liées au cinéma et à l’industrie culturelle québécoise dans une lettre envoyée aujourd’hui à G. Grant Machum, président par intérim du conseil d’administration de Téléfilm.

Les signataires estiment que les propos tenus par une porte-parole de Téléfilm dans une entrevue publiée samedi dans La Presse ne font qu’accentuer leurs craintes. Dans cet article, Téléfilm affirmait entre autres que trop d’argent (7,7 millions de dollars sur un budget d’environ 11 millions pour les films dits sélectifs) avait été promis à l’avance sur l’enveloppe budgétaire 2019-2020. Cette situation aurait par ailleurs entrainé le congédiement de trois directeurs de l’institution.

Or, un des films ayant bénéficié du financement anticipé est Matthias et Maxime.

« Quelle ironie d’ailleurs que de penser que les représentants de Téléfilm Canada monteront bientôt les marches du Palais des Festivals à Cannes pour y découvrir “Matthias et Maxime” de Xavier Dolan, un film qui n’aurait pas vu le jour si l’équipe dirigée par Monsieur (Michel) Pradier et de Madame (Roxanne) Girard (deux des trois directeurs congédiés : NDLR) n’avaient pas donné son aval au projet pour un financement anticipé sur l’année fiscale 2019-2020 », lit-on dans le document.

La productrice du film, Nancy Grant, a confirmé à La Presse que le film de M. Dolan a bénéficié d’une lettre de financement anticipé. Même si M. Dolan est une valeur sûre dans le monde du cinéma, son projet se trouvait dans le volet des films dits sélectifs (à évaluer avec attention) parce que la compagnie qui le produit, Sons of Manual, n’est pas encore admise au volet accéléré.

Des décennies

Les auteurs de la lettre ajoutent que « ces pratiques ont cours depuis des décennies » et répondent adéquatement aux besoins du milieu cinématographique.

Il faut comprendre que depuis quelques années, Téléfilm s’est retrouvé à la traine de la SODEC dans l’annonce du financement de projets de films. Cette situation est imputable à plusieurs facteurs dont une réorganisation des méthodes d’analyse et l’obligation de répondre à de nouveaux critères (projets autochtones, présence des femmes, nouveaux talents, etc) alors que son budget n’a pas augmenté depuis vingt ans.

De fait, Téléfilm a souvent embarqué dans les projets de financement annoncés par la SODEC en rognant sur son enveloppe de l’année suivante. À noter que ce financement anticipé est encadré par des lettres d’engagement dans lesquelles on retrouve une série de conditions que les producteurs doivent respecter avant d’obtenir leur argent.

Or, à l’été 2018, avec 7,7 millions engagés sur le budget 2019-2020, on a tiré la sonnette d’alarme. « On avait promis plein de choses à l’avance », a déclaré samedi la directrice Affaires publiques et gouvernementales de Téléfilm, Catherine Émond, à La Presse.

Les signataires de la lettre sont l’Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS), l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), Québec Cinéma,  le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec (RDIFQ), le Regroupement des producteurs indépendants de cinéma du Québec (RPICQ), la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), la Table de concertation de l’industrie du cinéma et de la télévision de la Capitale-Nationale et l’Union des artistes (UDA).

Rappelons enfin que toutes les parties engagées dans cette affaire attendent avec impatience un signe du ministre de Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, qui a l’intention d’annoncer cette semaine une solution pour sortir de la crise. On ne sait pas encore si l’aide qu’il proposera sera ponctuelle ou permanente.