Téléfilm Canada tarde à financer plusieurs projets de longs métrages francophones dont le tournage est prévu cette année et qui risquent, faute de subsides, de rester sur la touche parce qu'ils n'ont pu boucler tout leur financement, a appris La Presse.

La situation est à ce point préoccupante que le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a demandé à Téléfilm de corriger le tir.

« Plusieurs créateurs québécois m'ont récemment informé de délais dans l'octroi d'aides financières de la part de Téléfilm. Ça me préoccupe sérieusement, d'autant plus qu'on a investi près de 30 millions de dollars additionnels dans Téléfilm depuis 2016. »

- Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, par courriel

Estimant que les producteurs ont droit à un financement stable, M. Rodriguez ajoute avoir « contacté Téléfilm pour leur faire part de nos préoccupations et leur demander d'examiner rapidement cette situation avec toute la diligence nécessaire ».

Il dit avoir entièrement confiance en la nouvelle directrice générale, Christa Dickenson, arrivée à la tête de l'organisme l'été dernier, pour redresser la barre.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez

Chez Téléfilm, on nous a fait parvenir une réponse écrite de Mme Dickenson affirmant que les crédits parlementaires demeuraient au même niveau que les années précédentes et que l'objectif était toujours de financer les longs métrages dans une proportion de deux tiers pour le marché anglophone et d'un tiers pour le marché francophone.

« Vu les engagements significatifs conclus en 2018-2019 pour des projets réalisés cette année, notre budget est toujours en révision par notre conseil d'administration, dit la directrice générale. Jusqu'à présent, rien ne nous laisse présager ni une baisse ni même une modification des budgets précédemment réservés à la production francophone. »

Producteurs et techniciens inquiets

L'Association québécoise de la production médiatique (AQPM), organisme regroupant les producteurs au cinéma, à la télé et sur le web, se dit préoccupée par la situation.

« Il y a cette année une inquiétude du milieu par rapport aux sommes disponibles, du côté de Téléfilm, pour les productions en langue française. Téléfilm est au courant de l'insatisfaction, de l'inquiétude des producteurs. Elle cherche une solution. »

- Hélène Messier, directrice générale de l'Association québécoise de la production médiatique

La directrice de l'AQPM mesure ses commentaires, indiquant que son organisme ne voulait pas, à ce moment, amener le débat sur la place publique. L'AQPM tiendra son congrès annuel la semaine prochaine et Mme Dickenson y est attendue par des producteurs impatients de savoir ce qu'elle aura à leur annoncer.

« Mme Dickenson s'est ajoutée [au programme du congrès] dans la foulée de cet événement-là. Elle nous a demandé de pouvoir prendre la parole le 18 avril en matinée », a précisé Hélène Messier.

À l'Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l'image et du son (AQTIS), le directeur général et président par intérim Gilles Charland remarque qu'à l'heure actuelle, il y a moins de contrats signés que par les années passées. 

« Le constat se fait par l'embauche des techniciens. Le rythme a ralenti par rapport aux années antérieures, dit-il. D'habitude, les projets sont acceptés plus tôt et la préproduction (recherche des lieux, construction des décors, etc.) débute plus tôt aussi. Or, tout ça, actuellement, est au ralenti. »

Trop d'argent en 2018-2019 ?

Où est le problème si les budgets sont les mêmes ?

Selon des sources consultées mais qui refusent de parler ouvertement par crainte de représailles dans l'avenir, le manque à gagner serait attribuable au fait que durant l'année financière 2018-2019, Téléfilm a financé un ratio plus élevé de films francophones que de coutume. Ces films auraient au préalable obtenu du financement de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), pendant québécois de Téléfilm.

Comme le financement de Téléfilm a été plus élevé que prévu en 2018-2019, il sera réduit d'autant en 2019-2020. C'est le principe des vases communicants.

Mme Dickenson réfute cette logique. « Bien sûr que non, c'est faux, il y a de l'argent, nous écrit-elle. Le 18 avril prochain, à l'AQPM, je partagerai avec l'industrie plus d'information. »

Le rapport financier trimestriel du 31 décembre 2018 indique que Téléfilm a dépensé beaucoup plus d'argent que de coutume en 2018-2019. Dans les neuf premiers mois, les sommes accordées dans l'ensemble des programmes de production étaient de 45,7 millions, comparativement à 34,7 millions pour les 12 mois de 2017-2018.

- Avec la collaboration de Marc-André Lussier, La Presse

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice générale de Téléfilm Canada, Christa Dickenson