Neuf ans après The Tourist, une aventure hollywoodienne qu'il ne renie pas du tout, le réalisateur de La vie des autres est de retour avec une « biographie » de l'Allemagne, inspirée par la vie de l'artiste peintre Gerhard Richter. Never Look Away a non seulement été en lice pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère cette année (une statuette que Florian Henckel von Donnersmarck a déjà obtenue il y a 12 ans), mais le film a aussi été finaliste dans la catégorie de la meilleure direction photo. Entretien.

Pourquoi une si longue absence après The Tourist ?

Never Look Away est un film ambitieux, qui emprunte un peu la forme d'une biographie de l'Allemagne sur une période de 30 ans. Cela nécessite beaucoup de recherches, beaucoup d'entrevues et beaucoup de rencontres. Je sentais aussi - et pas seulement moi, tous les acteurs et les artisans du film ont eu le même sentiment - une grande responsabilité envers les générations de nos parents et de nos grands-parents. Il fallait rendre le plus fidèlement possible ce qu'ils ont vécu et souffert au cours des années les plus noires de notre histoire. Nous ne pouvions pas faire les choses à moitié.

Le protagoniste de votre film [Tom Schilling] vit son enfance à Dresde, sous le régime nazi, et découvre, une fois adulte, le passé trouble du père de son amoureuse. Comment êtes-vous parvenu à trouver l'angle de cette fresque d'un peu plus de trois heures ?

Ayant toujours voulu faire un film sur la création artistique, j'ai d'abord eu l'idée d'un récit ayant pour cadre le monde de l'opéra. J'ai cherché une trame dans les histoires de tous mes opéras préférés, mais je n'ai rien trouvé. Puis, un jour, le journaliste allemand Jürgen Schreiber, du Tagesspiegel, est venu m'interviewer, mais les rôles ont été rapidement inversés, car je savais que Jürgen venait d'écrire une biographie de Gerhard Richter, un artiste allemand que je connaissais peu, même si son nom m'était quand même un peu familier. Ulrich Mühe, l'acteur principal de La vie des autres [aujourd'hui disparu], avait chez lui une oeuvre de Richter. Le journaliste a par ailleurs insisté dans son livre sur un tableau - bien connu en Allemagne - dans lequel on voit une femme - la tante du peintre - qui tient un enfant sur elle, soit Richter lui-même. Cette femme, atteinte de schizophrénie, fut tuée par les nazis. Or, Schreiber a découvert, au fil de ses recherches, que le père de la première femme de Richter avait un passé SS très trouble, sans que personne le sache. J'ai trouvé là un fil conducteur en construisant une histoire où la création artistique se mêle à celle d'une famille où bourreaux et victimes ont déjà vécu sous un même toit.

Votre film prend-il une résonance particulière à notre époque ?

J'espère, oui. Parce que l'Allemagne est à un tournant de son histoire. L'Occident aussi, en fait. Chez nous, et aussi un peu partout en Europe, la question de l'accueil des migrants a poussé beaucoup de gens vers l'extrême droite. C'est dangereux. On doit réfléchir aux questions liées à l'identité et se demander ce qu'est un pays, ce qu'est une nation. Je suis encouragé par le fait que les jeunes semblent plus intéressés par l'histoire que les politiciens !

Quel est le rôle de l'art dans une société ?

Vous et moi avons le privilège de vivre dans des pays où l'art peut s'exprimer de façon libre. Il revient alors au spectateur de décider quelle place il veut lui donner dans sa propre vie. En revanche, l'art est perdu si un gouvernement décide ce qu'il doit être. Aux États-Unis, la liberté d'expression est inscrite dans le premier amendement de la Constitution, et on la respecte, même si, parfois, elle peut provoquer des drames et semer le chaos. Je suis davantage enclin à accepter les dérapages plutôt que la censure, qui n'est, ni plus ni moins, que la destruction de l'art. Je crois que la vérité reprendra toujours ses droits, même en cette ère de fake news. Les dictatures ont habituellement des vies assez courtes. Instinctivement, l'homme penche vers la liberté.

Que retenez-vous de The Tourist, un film que vous avez tourné en Europe, mais dans un cadre hollywoodien ?

Je crois que la réaction négative des critiques a plus eu à voir avec leurs attentes. Ils devaient penser que je leur offrirais un plat gastronomique et ils se sont retrouvés avec une friandise, uniquement faite pour divertir. C'était là mon intention et je l'assume pleinement. Grâce à The Tourist, j'ai aussi eu l'occasion de travailler avec Angelina Jolie et Johnny Depp, deux des plus charmantes personnes qui existent sur Terre, et de tourner le film à Venise, l'une des plus belles villes du monde. Comment pourrais-je regretter ?

Never Look Away est à l'affiche en version originale allemande avec sous-titres anglais.