Célébrée à l'international, Isabelle Huppert mène une carrière d'exception, sans périodes creuses, depuis maintenant quelques décennies. En marge de la sortie de Greta, un thriller singulier réalisé par Neil Jordan, nous avons pu bavarder un peu avec celle qui, il y a deux ans, a de nouveau conquis le monde grâce à Elle...

Tous ceux qui l'ont vue dans l'épisode de Dix pour cent (Appelez mon agent) auquel elle a participé ont été marqués par sa performance, inspirée par son emploi du temps pour le moins chargé. Isabelle Huppert a tourné - sans blague - pas moins de quatre longs métrages l'an dernier, et ne néglige pas le théâtre pour autant. Depuis la semaine dernière, elle joue The Mother à l'Atlantic Theater de New York. Dans cette adaptation qu'a tirée le dramaturge britannique Christopher Hampton de la pièce La mère, de Florian Zeller, l'actrice donne la réplique à Chris Noth. De retour à Paris en mai, Isabelle Huppert gagnera la scène du Théâtre de la Ville pour s'asseoir sur le trône de Marie Stuart, reine d'Écosse, à la faveur d'une pièce de Darryl Pinckney, Mary Said What She Said, que mettra en scène Robert Wilson.

« Évidemment, Dix pour cent était une exagération, explique en riant l'actrice au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse. On a amené à son paroxysme une perception possible que le spectateur peut avoir à propos de la vie d'un acteur ou d'une actrice. J'espère que tout ça reflète autant la qualité que la quantité, en tout cas ! »

« Il est vrai que je fais des choses très variées, très différentes les unes des autres, qui peuvent parfois produire un certain cafouillage sur le plan de l'organisation. Mais ce qui me caractérise, surtout, est la diversité des choix. »

- Isabelle Huppert

Une carrière exceptionnelle

Depuis quelques décennies, Isabelle Huppert mène une carrière exceptionnelle parsemée de très grands rôles qu'elle colore de son unique façon. Depuis son premier sacre au Festival de Cannes en 1978, grâce à Violette Nozière, de Claude Chabrol, l'actrice collectionne les plus beaux lauriers et les sélections les plus prestigieuses. Depuis Elle, le film de Paul Verhoeven qui lui a valu une citation aux Oscars il y a deux ans, les hommages pleuvent. On l'imagine facilement crouler sous les offres et les demandes venues des quatre coins du monde, mais cette image ne correspond pas tout à fait à la réalité. 

Bien entendu, l'actrice se sent privilégiée d'occuper une position semblable, mais remet quand même les pendules à l'heure à cet égard. « Ce que vous dites est vrai, mais quand il s'agit de faire des choses intéressantes, il n'y a pas tant de choix que ça, précise-t-elle. On fait ce qui se présente de mieux, mais ce genre de proposition n'arrive pas en si grand nombre.

« Et puis, poursuit-elle, on ne vit jamais les choses avec autant de satisfaction que ça. Je reconnais que, vu de l'extérieur, tout ça peut paraître très riche, très plein, très prestigieux, avec beaucoup de grands noms et beaucoup de prix, mais bizarrement, vu de l'intérieur, je ne peux pas percevoir les choses tout à fait de la même façon. On vit tout ça avec beaucoup moins de certitudes, beaucoup moins d'autosatisfaction, et le doute est toujours là. Mais c'est ça qui dynamise la chose, au fond. Le doute attise la curiosité et suscite l'envie de trouver des réponses à certaines questions qu'on se pose. Et on continue de chercher ! »

Que du bonheur

Dans Greta, Isabelle Huppert se glisse dans la peau d'une pianiste française installée à New York depuis longtemps. Cette dame, en apparence inoffensive, ravie qu'une jeune femme (Chloé Grace Moretz) ait la gentillesse de lui rapporter un sac à main qu'elle avait égaré dans le métro, cache, en fait, de très grandes zones d'ombre. Réalisé par Neil Jordan (The Crying Game, The End of the Affair), ce film s'inscrit dans un genre qui, de façon assumée, mêle le frisson et l'humour, même s'il ne s'agit pas d'une franche comédie. L'actrice s'est amusée à incarner ce personnage démesuré.

« Sinon, je ne l'aurais pas fait ! dit-elle. Faire un film, c'est du bonheur. On ne s'inflige rien. Ma situation, relativement privilégiée, fait en sorte que je peux faire uniquement les choses dont j'ai envie. Il ne faut pas non plus prendre ce film d'un point de vue réaliste. Je vois davantage Greta comme un conte de Grimm et les stéréotypes ajoutent à son étrangeté. Le fait que cette meurtrière soit une femme enrichit aussi l'aspect encore plus dérangeant de ce récit, à mon sens. La violence qui émerge de cette histoire en devient d'autant plus surprenante. »

Lancé l'an dernier au festival de Toronto, Greta a suscité une réaction que l'équipe n'attendait pas tout à fait. Bien sûr, les touches d'humour étaient déjà très présentes, mais qu'elles fassent rire à ce point l'auditoire a quand même pris les artisans du film au dépourvu. « On ressentait aussi l'effroi du public, remarque Isabelle Huppert. C'est un peu comme si le rire agissait comme une défense. C'est très étrange. Ce thriller emprunte des voies originales et assez singulières, qui le placent presque du côté du cinéma de Dario Argento et de John Waters. »

« Le décalage nous empêche de classer ce film dans le thriller classique, et on ne peut pas dire non plus qu'il s'agit d'une franche comédie, même s'il y a des choses très drôles. »

- Isabelle Huppert

La part d'inconnu

Au fil de son expérience d'actrice, Isabelle Huppert estime que la part d'inconnu que renferme une production fait partie de la beauté du métier, dans la mesure où l'on ne peut jamais présumer du résultat, de son accueil ou de son succès. « On peut trouver un film génial qui peut ne plaire à personne et, à l'inverse, des films que tout le monde aime mais qui, personnellement, ne me plaisent pas du tout, observe-t-elle. Il n'y a pas de définition univoque de la réussite d'un film ni du succès dans ce domaine. Depuis le début de ma carrière, l'important pour moi est le lien avec celui ou celle qui réalise. Je ne peux pas voir les choses autrement, car un film, c'est aussi un pacte de confiance avec quelqu'un. Cette confiance ne peut pas se donner comme ça à quelqu'un qui n'en est pas digne. Elle doit reposer sur quelque chose qui a à voir avec l'admiration et avec une certaine idée qu'on se fait du cinéma. »

À une époque où plusieurs actrices et acteurs décident de passer derrière la caméra pour réaliser leurs propres longs métrages, Isabelle Huppert ne compte pas franchir le pas. Du moins, pas pour l'instant. « Cela m'a déjà traversé l'esprit comme tout le monde, remarquez. Mais ça ne colle jamais. Chaque film que je tourne devient un matériau imaginaire qui me satisfait de la même manière, enfin peut-être, que si je l'avais réalisé moi-même. Je n'éprouve pas le besoin de passer derrière la caméra. »

Greta est présentement à l'affiche.