Le roman a plus de 150 ans. Mais il n’a pas pris une ride. Vendu à des millions d’exemplaires, traduit en 50 langues, adapté maintes fois au cinéma, à la télévision, au théâtre, en comédie musicale, en film d’animation, même en opéra, alouette, le voilà qu’il revient une énième fois au grand écran, dans une adaptation signée Greta Gerwig, et ce, pour le plus grand bonheur de ses admirateurs. Car mine de rien, il a marqué des générations de femmes. Et ce n’est pas fini…

De Simone de Beauvoir à J.K. Rowling, en passant par Patti Smith (qui signe la préface de l’une des plus récentes éditions), moult grands noms de la littérature, d’hier à aujourd’hui, ont été inspirés par ces quatre sœurs, imaginées par Louisa May Alcott, en 1868.

Molie Marcil, Montréalaise de 12 ans, a carrément lu le livre six fois. Oui, six. En français, en anglais, dans sa version BD.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Molie Marcil

Je trouve le livre rassurant. L’ambiance est chaleureuse. Les quatre filles et leur mère ont une belle bulle.

Molie Marcil

Et que dire du personnage de Jo, accro de littérature ? On l’avait deviné : « Ça me rejoint, poursuit la jeune fille. Elle est différente, féministe, elle a des opinions différentes sur les choses, c’est une forte personnalité. » Mieux : « J’aime comment le personnage se défoule dans l’écriture. » Inspirant, vous dites ?

Revendications égalitaires

Petit rappel : Little Women (ou Les quatre filles du Docteur March, dans la traduction française du roman) raconte le destin de quatre sœurs, pendant la guerre de Sécession. Leur père étant parti à la guerre, elles sont élevées par leur mère, de manière assez peu orthodoxe. 

Elle les pousse en effet à se dépasser, avec leur cœur, mais surtout avec leur tête. À une époque où les filles ne vont pour ainsi dire pas à l’école et dont le seul et unique destin s’incarne dans le mariage et la maternité, disons que ça détonne. Dans cette famille originale et attachante, ce sont au contraire la créativité, la bonté et la solidarité qui sont valorisées.

On pourrait n’y lire qu’un classique récit de passage à l’âge adulte, certes, mais il y a tellement plus : pensez destinées variées (chaque sœur a un intérêt particulier : l’une pour l’écriture, donc, l’autre, les arts, la troisième, la musique, et la dernière, plus conventionnelle – on n’y échappe pas –, le mariage !) et revendications égalitaires. Aux yeux de l’époque, c’est rien de moins que révolutionnaire.

La preuve : dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir écrit s’être pratiquement construite avec ce roman.

Il y eut un livre où je crus reconnaître mon visage et mon destin : Les quatre filles du Docteur March […]. On leur enseignait, comme à moi, que la culture et la moralité l’emportent sur la richesse ; leur modeste foyer avait, comme le mien, un je ne sais quoi d’exceptionnel. Je m’identifiais passionnément à Jo, l’intellectuelle. […] Je me crus autorisée moi aussi à considérer mon goût des livres, mes succès scolaires, comme le gage d’une valeur que confirmerait mon avenir.

Extrait des Mémoires d’une jeune fille rangée (1958), de Simone de Beauvoir

La fameuse Jo, interprétée au cinéma tant par Katharine Hepburn (1933) que par Winona Ryder (1994), nous revient, cette fois, sous les traits de Saoirse Ronan dans cette toute dernière interprétation, écrite et réalisée par Greta Gerwig (égérie du cinéma indie, à qui l’on doit le très touchant Lady Bird).

Dans la bande-annonce du film, qui sort pile-poil pour Noël (et qui compte une coquette distribution, avec Emma Watson, Laura Dern, Timothée Chalamet et Meryl Streep, entre autres), on l’entend notamment lancer ce cri du cœur : « Les femmes ont un cerveau et une âme, pas seulement un cœur. Elles sont ambitieuses et talentueuses, pas uniquement belles. J’en ai assez d’entendre qu’une femme n’est faite que pour l’amour. Plus qu’assez ! »

Une réplique qui résonne encore aujourd’hui, croit la professeure de littérature et romancière Martine Delvaux. « Ça demeure, confie-t-elle, rien n’est jamais entièrement acquis. On pense que c’est acquis, mais la domesticité, c’est un piège dans lequel on tombe tout le temps. Même si on est féministe jusqu’au bout des ongles ! On y tombe. Dans ce piège, il y a tout ce qui nous éteint, tout ce qui prend tellement de temps. » D’où l’attrait, selon elle, de ce fameux personnage de Jo, lequel incarne à ses yeux une inspirante liberté. « Selon moi, c’est le personnage le plus inspirant ! »

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

La fameuse Jo, interprétée par Winona Ryder (1994)

La dramaturge et romancière Fanny Britt confie avoir elle aussi beaucoup admiré ce personnage. « Je ne m’identifiais pas à sa personnalité, mais j’admirais son bagout, sa détermination farouche, son côté tomboy », dit-elle, énumérant, entre autres noms inspirants, les Anne Shirley et Jane Eyre de son enfance.

Un titre qui dérange

Parenthèse : la traductrice souligne avoir toujours été beaucoup dérangée par la traduction française du titre, irritée « qu’un monsieur essentiellement absent d’une intrigue se mérite quand même d’être nommé dans le titre… » Un titre repris une fois de plus, faut-il le signaler, dans la traduction québécoise du film, en salle le 25 décembre.

Même son de cloche de la part de la réalisatrice Marie-Claude Beaucage, laquelle note que le titre anglais « est beaucoup plus évocateur ». « Chaque sœur a des aspirations différentes, un bagage commun de valeurs, mais envie de faire quelque chose de différent », dit-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Claude Beaucage, réalisatrice

Little Women, c’est ça : on peut être toutes ces femmes-là, et c’est correct. […] C’est intéressant d’entendre aussi ce discours-là.

Marie-Claude Beaucage

Emma Watson en Meg, qui rêve de se marier, fera d’ailleurs ce touchant commentaire à sa sœur : « Même si mes rêves sont différents, ils comptent aussi… »

À cet égard, le livre (et toutes ses adaptations), dans sa volonté de faire accepter une certaine diversité, fait preuve d’une étonnante modernité. « Ce n’est pas daté », conclut la réalisatrice, qui ne cache pas son amour pour ce roman culte. « Les valeurs au cœur du livre sont encore bonnes : la famille, la solidarité, l’éducation, l’importance d’être cohérant avec ses valeurs. » À lire, à voir et à méditer !

Little Women (Les filles du Docteur March), réalisé par Greta Gerwig, avec Saoirse Ronan, Emma Watson, Laura Dern, Timothée Chalamet et Meryl Streep. En salle le 25 décembre.