Les divisions, les préjugés, les conflits et la peur de l’autre subsistent même après la levée des barrières. La cinéaste germano-québécoise Catherine Veaux-Logeat en a fait le constat en retournant sur les traces de son histoire familiale, marquée par la construction et la chute du mur de Berlin survenue le 9 novembre 1989. Elle en a tiré un documentaire, Entre mer et mur, qui sort en salle le 7 novembre. Entrevue.

Votre film porte sur votre cousin Frank qui a quitté l’Allemagne de l’Est et fait le tour du monde. Est-ce votre projet le plus personnel ?

Oui, même si ce n’était pas le cas au départ. Au début, l’accent était mis sur Frank, un héros mythique de la famille qui avait bercé mes rêves d’enfance. Par ailleurs, ma mère me parlait toujours du communisme et de l’Allemagne de l’Est avec dégoût et dédain. Or, en quittant Berlin-Est, Frank avait laissé là-bas une fiancée, et ma mère a toujours affirmé que si cette femme ne l’avait pas suivi, c’est parce qu’elle était communiste. Frank m’a raconté une histoire différente et, à ce moment-là, j’ai constaté que j’ai été bercée par les non-dits d’une famille profondément déchirée par ce mur. Et même s’il n’existe plus depuis 30 ans, il continue à teinter les pensées comme les relations dans les familles et à créer certaines fissures.

De là ce passage à une quête plus personnelle ?

En revenant à Montréal, j’ai été obligée de me plonger dans cette histoire de transmission. J’ai essayé de comprendre comment mon histoire familiale n’est plus la même aujourd’hui qu’à l’enfance. J’ai commencé à comprendre que le passé nous habite tous d’une certaine façon en fonction d’éléments géopolitiques. Ma mère ayant voulu se dégager de l’Allemagne a néanmoins apporté un mur dans ses bagages et une certaine façon de voir les choses. Mon cousin Frank, qui a fait le tour du monde [dans la marine marchande], a vu les choses autrement.

Est-ce un phénomène généralisé aux gens dans la même situation que vous ?

J’ai l’impression que oui. Les enfants d’immigrants ont une image idéalisée du pays que leurs parents ont quitté et des proches qui y habitent encore. On protège ces images qu’on projette dans notre esprit. Or, quand on retourne dans les lieux de notre enfance, un décalage s’opère. Ainsi, Frank m’a permis de démystifier certaines choses des pays de l’Est. Frank est un pacifiste, un humaniste. Pour lui, il y a des bons comme des méchants de chaque côté [du mur]. Cela m’a permis de relativiser certaines choses.

Quel impact a eu la construction du mur de Berlin sur les familles séparées ?

Il est assez marquant. Pendant 28 ans, les Allemands de l’Est et de l’Ouest n’ont pu créer une société commune. Même chose dans la ville de Berlin. Ce fut une fissure sociale et politique. Encore de nos jours, on constate une démarcation entre un Allemand de l’Est et un de l’Ouest. Dans ma génération, mes cousines et copines allemandes sont rarement allées à l’Est. Je suis celle qui y est allée le plus souvent. Moi, lorsque je vais à Berlin, j’ai un grand plaisir à visiter les quartiers dans l’est de la ville. Bien sûr, il y a aussi toute cette génération née après la chute du mur. Il est étonnant de voir comment ces jeunes passent à côté de cette histoire. Pourtant, ce n’est pas si vieux que cela.

Vous dites dans votre film que depuis la chute du mur de Berlin, 50 autres ont été construits. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Lorsque je vois que des murs se construisent ailleurs, en Europe, en Afrique ou entre les États-Unis et le Mexique, je me dis qu’on n’a pas idée des conséquences majeures que cela installe pour des décennies. Ça s’inscrit et reste gravé des années durant.

Qu’un mur devienne une destination touristique comme à Berlin constitue-t-il une bonne chose ?

C’est la grande question ! Doit-on oublier ou se souvenir ? Il y a deux écoles de pensée. Mais quand on essaie d’oublier, la génération suivante cherche à se souvenir. Ce que j’ai vécu avec ma mère. Et j’ai fait un film pour me souvenir. Mais si ma mère m’avait constamment parlé du mur, aurais-je, au contraire, essayé d’oublier ? Je suis partagée entre les deux écoles. Je sais par contre qu’il m’est important de savoir d’où je viens, afin d’aller plus loin. J’ai eu besoin d’afficher mes racines pour prendre ma place à Montréal et au Québec. Il m’est donc important de me souvenir.