Sharon Tate a été assassinée chez elle, en août 1969. L’actrice de 26 ans a été poignardée une quinzaine de fois. Avec le sang de sa victime, son assassin a inscrit le mot « Pig » (cochon) sur la porte d’entrée de sa demeure de Cielo Drive, dans les hauteurs de Beverly Hills. La compagne du cinéaste Roman Polanski – en repérage à Londres – était enceinte de huit mois.

Ce fait divers sordide a inspiré à Quentin Tarantino son neuvième long métrage, Once Upon a Time in… Hollywood (à l’affiche demain), titre en clin d’œil au cinéma de Sergio Leone. Campé à Los Angeles, le film raconte surtout l’histoire fictive de Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), acteur de westerns télévisés, et de son ami Cliff Booth (Brad Pitt), le cascadeur qui lui a servi de doublure avant de devenir son homme à tout faire.

En filigrane, se dessine le destin tragique de Sharon Tate (Margot Robbie), victime de la tristement célèbre « famille » du gourou Charles Manson. Dans cette ode au cinéma hollywoodien, Tarantino met en scène les trajectoires croisées de ces deux acteurs nouvellement voisins : l’une ascendante et l’autre sur le déclin.

La petite et la grande histoire, la vraie et la fausse, se confondent une fois de plus dans le regard du cinéaste d’Inglourious Basterds, qui multiplie les références cinématographiques, notamment à son propre cinéma (jusqu’à parfois donner l’impression qu’il se répète). 

Et comme c’est souvent le cas chez Tarantino, il y a le film, puis le film dans le film, le cinéaste s’égarant par moments dans cette mise en abyme, éparpillé entre la trame principale et ses récits parallèles.

Présenté en compétition au Festival de Cannes en mai – 25 ans après la Palme d’or à Pulp Fiction –, le film a suscité quelques polémiques. Certains ont reproché à Tarantino d’avoir offert trop peu de répliques au personnage de Sharon Tate, dépeinte comme une jeune femme frivole aimant essentiellement faire la fête. Aussi, récemment, on a annoncé que son interprète Margot Robbie aurait une partition moins superficielle dans la version remontée du film.

Il n’en est rien. Margot Robbie compte à peine plus de scènes parlées dans cette nouvelle version, qui diffère très peu de celle présentée à Cannes. Elle prononce quelques phrases de plus, notamment à l’occasion d’une scène où elle fait monter dans sa voiture une jeune autostoppeuse, une référence à la manière dont Sharon Tate a elle-même été découverte à Hollywood. Les deux femmes ont une discussion d’environ cinq secondes (c’est-à-dire rien pour écrire à Alison Bechdel).

PHOTO FOURNIE PAR IMDB

Margot Robbie joue Sharon Tate dans Once Upon a Time in… Hollywood

Ce qui a davantage nourri la controverse autour du film lors de sa présentation à Cannes a été la sortie sur les réseaux sociaux de l’actuelle compagne de Roman Polanski, Emmanuelle Seigner. La comédienne française a accusé Tarantino de ne pas avoir contacté son mari, ni à l’étape du scénario ni à celle du tournage de son film.

« Comment peut-on se servir de la vie tragique de quelqu’un tout en le piétinant ? », a-t-elle demandé sur son compte Instagram, sous une photo en noir et blanc de Polanski en compagnie de Sharon Tate. « Cela ne les dérange pas de faire un film qui parle de Roman et de son histoire tragique, et donc de faire du business avec ça, alors que de l’autre côté, ils en ont fait un paria. Et tout cela sans le consulter bien sûr », a-t-elle écrit.

Elle faisait bien sûr référence au fait que Roman Polanski est considéré comme un fugitif aux États-Unis, après y avoir été condamné pour le viol d’une fille de 13 ans en 1977. Ce n’est sans doute pas un hasard si une scène de Once Upon a Time in… Hollywood montre le personnage interprété par Brad Pitt refusant les avances d’une mineure parce qu’il ne veut pas de problèmes avec la justice.

Tarantino avait répondu sèchement « non » à un journaliste qui lui avait demandé, en conférence de presse à Cannes, s’il avait consulté Polanski avant, pendant ou après avoir écrit le scénario de son film. Dans une entrevue récente au magazine web Deadline, le cinéaste américain a tenu à rétablir les faits. S’il maintient ne pas avoir senti l’obligation d’obtenir l’aval du cinéaste de Rosemary’s Baby, il affirme avoir fait lire le scénario à un ami de Polanski afin de rassurer le cinéaste franco-polonais.

Cinquante ans plus tard, cette tragédie, selon Tarantino, fait désormais partie du « domaine public ». Il était donc libre de la réinterpréter à sa guise. Cette licence artistique lui appartient sans doute. Le drame de Sharon Tate n’appartient pas qu’à ses proches. Mais il y a, comme toujours, la manière. Et celle de Tarantino, aussi brillante puisse-t-elle être pour ses admirateurs (j’en suis), n’est pas toujours subtile.

Il est troublant de voir un cinéaste s’approprier une tragédie véritable et la nourrir de l’esthétique de films de genre qui caractérise la violence cartoonesque, indissociable de son cinéma. Le traitement « tarantinesque » de ce fait divers impliquant des gens toujours vivants, à commencer par Polanski, soulève des dilemmes moraux. Sur les libertés que l’on peut prendre avec l’histoire, en particulier, lorsque l’on est un artiste. Je ne peux pas vous en dire davantage sans divulgâcher le film.

Once Upon a Time in… Hollywood est un hommage au cinéma hollywoodien d’une autre époque. Mais est-ce aussi un hommage de Quentin Tarantino à Sharon Tate ou, au contraire, un manque d’égards à sa mémoire ? À chacun de se faire sa propre idée.