Le président et fondateur du Festival des films du monde (FFM), Serge Losique, a annoncé hier matin que l’édition 2019 ne serait pas présentée afin de préparer celle de 2020. Mais l’endettement et les poursuites ne font pas relâche. Au contraire, Serge Losique et le FFM doivent faire face à plusieurs causes devant la justice.

Une visite hier dans le plumitif de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) indique que la cause la plus importante est celle de la Banque Royale du Canada qui a déposé une requête à la cour dans le but de saisir la propriété de M. Losique dans le Canton de Potton (Cantons-de-l’Est) en remboursement d’un prêt totalisant 867 000 $ (les sommes ont été arrondies).

Le document, rédigé en anglais, indique qu’en date du 12 mars dernier, M. Losique a omis de verser la somme de 35 200 $ à ses créditeurs et qu’il était aussi en défaut de paiement de ses taxes municipales.

Par ailleurs, M. Losique et le Festival se trouvent toujours devant la cour contre le cabinet d’avocats Duplessis Robillard qui leur réclame des honoraires de 55 600 $. Ce cabinet a représenté le Festival et son président dans le passé.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail réclame de son côté la somme de 20 000 $ en frais impayés au Festival canadien des films du monde (c’est le nom légal de l’organisme), alors que Jean-Marc Côté Designer lui réclame 5110 $. Hier en fin d’après-midi, il nous a été impossible de connaître les motifs exacts de ces deux réclamations.

Une visite sur le site du Registre foncier du Québec nous apprend par ailleurs que la société Québecor a, le 21 mai dernier, fait radier une hypothèque prise sur la propriété de M. Losique à Potton pour garantir un prêt de 1,05 million lui ayant été consenti antérieurement. Le document n’indique pas pour quelle raison Québecor a renoncé à cette hypothèque.

Poursuites

Depuis plusieurs années, le Festival des films du monde a perdu de son lustre. Un coup très dur lui a été porté en 2014 lorsque ses principaux bailleurs de fonds, des organismes publics et parapublics tels Téléfilm Canada, la SODEC et la Ville de Montréal ont arrêté de lui verser des subventions.

Or, en novembre 2015, nouveau coup de tonnerre. La SODEC a déposé une poursuite de 886 000 $ contre le FFM pour défaut de remboursement d’un prêt consenti par sa banque d’affaires. Le FFM et Losique ont contre-attaqué avec une action en justice de 2,25 millions pour leur avoir causé des torts.

Les deux actions en justice doivent être traitées dans un même procès inscrit pour audition à la Cour supérieure du 25 au 29 novembre prochain.

À l’origine, ce procès devait avoir lieu du 21 au 28 novembre 2018, mais, à la demande du FFM qui évoquait la santé fragile de M. Losique, il a été reporté d’un an.

Joint hier en fin d’après-midi, Me Richard Mallette, avocat représentant le FFM dans ce dossier, n’a pu dire si le procès de novembre aurait lieu comme prévu ou s’il serait de nouveau remis. « On ne peut pas prédire l’avenir », a-t-il simplement indiqué.

En plus de toutes ces causes, il faut enfin rappeler que le FFM a aussi un litige avec Revenu Québec. L’an dernier, à quelques semaines de la tenue du Festival, Revenu Québec était allé en cour afin de demander une injonction pour faire cesser les activités du Festival, qui lui devait 499 000 $. M. Losique avait cependant réussi à verser une somme minimale, dite paiement de sûreté, de 32 800 $ et Revenu Québec avait renoncé à sa demande d’injonction.

« Nous n’avons aucune autre information de nature publique, depuis, dans ce dossier », a indiqué Revenu Québec dans un courriel envoyé à La Presse.

Pause

Hier matin, dans un communiqué laconique de deux paragraphes, Serge Losique a annoncé que l’évènement, dont la 43e présentation devait avoir lieu du 22 août au 2 septembre, prenait une pause « afin de mieux préparer l’édition 2020 » et que d’autres informations seraient communiquées sous peu. On ajoutait que M. Losique, « à cause de la fatigue extrême et sur l’ordre de ses médecins », n’accorderait pas d’entrevue et qu’aucun film n’avait été sélectionné pour l’édition 2019.

Serge Losique a toujours défendu le fait que son festival était membre de la Fédération internationale des associations de producteurs de films (FIAPF) et qu’il était le seul à volet compétitif, dit de catégorie A, en Amérique du Nord. Par courriel, la FIAPF a indiqué prendre note de ce développement. « La FIAPF tient à exprimer ses vœux de prompt rétablissement à M. Serge Losique, et continuera à travailler avec le FFM aux fins d’évaluer les modalités de son édition en 2020 », a-t-on ajouté.

Temps forts et tempêtes

Depuis sa création en 1977, le FFM a été marqué de plusieurs moments réjouissants, mais a aussi affronté de forts vents contraires. Quelques dates.

1977

Le 19 août, Serge Losique lance la toute première édition du Festival canadien des films du monde à la Maison du Québec de Terre des Hommes. L’évènement, qui prendra plus tard le nom de Festival des films du monde, accueille ce soir-là de grandes figures du cinéma mondial : Ingrid Bergman, qui en fait l’ouverture officielle, Gloria Swanson, Howard Hawks, Richard Thomas et Fay Wray, vedette de la première version du film King Kong. Jean-Luc Godard passera aussi à l’événement.

1978

À sa deuxième année d’existence, le FFM devient compétitif. Alain Delon préside le jury de la compétition officielle dans lequel on retrouve aussi la comédienne Carole Laure. Le Grand Prix des Amériques est remis au réalisateur italien Salvatore Nocita pour son film Ligabue à l’occasion d’une réception à la salle Westmount de l’hôtel Bonaventure.

1986

37°2 le matin, long métrage du cinéaste français Jean-Jacques Beineix, fait sans nul doute partie des titres les plus connus ayant été récompensés du Grand Prix des Amériques. Le film est présenté à la 10e édition du festival. Cette année-là, le jury est présidé par Claude Miller. Blue Velvet de David Lynch est présenté en compétition officielle et vaut à Dennis Hopper le prix d’interprétation masculine.

1987

Kenny (The Kid Brother), film de Claude Gagnon, est le seul film canadien à avoir remporté le Grand Prix des Amériques à ce jour. À noter qu’en 1992, le film argentin Le côté obscur du cœur d’Eliseo Subiela, également lauréat du Grand Prix des Amériques, avait été coproduit par la société montréalaise Max Films.

2005

Après avoir retiré leurs subventions du FFM, Téléfilm Canada et la SODEC confient à L’Équipe Spectra la création d’un nouvel évènement de cinéma : le Festival international de films de Montréal. Or, au terme de la première édition, tous constatent que ce nouvel évènement a été un fiasco. Sa vie s’arrête là, et les organismes subventionnaires retourneront aider le FFM.

2009

Le cinéaste iranien Jafar Panahi préside le jury de la compétition officielle. À propos des manifestations dans son pays d’origine, Panahi déclare à La Presse : « Le vrai courage, c’est celui dont font preuve tous ces protestataires anonymes. Qui, malgré le danger, n’hésitent pas à manifester. » Quelques mois plus tard, il est arrêté, emprisonné, et il lui est interdit de faire du cinéma durant 20 ans.

2014

L’un après l’autre, Téléfilm Canada, la SODEC et la Ville de Montréal retirent leurs subventions au festival. Tourisme Montréal et Loto-Québec quittent aussi le navire. L’année suivante, la SODEC entame une poursuite de près de 900 000 $ contre le FFM pour non-remboursement d’un emprunt. Le FFM contre-attaque avec une poursuite de 2,25 millions contre la SODEC.

2017

Le 22 août, Québecor vient à la rescousse de l’Impérial, un organisme sans but lucratif qui traîne une hypothèque évaluée à près de 5 millions de dollars. Cette dette serait liée aux déficits accumulés du FFM. Québecor n’achète pas la salle mais en devient le locataire prioritaire et fait nommer des personnes au conseil d’administration.

2018

À quelques semaines de la 42e édition, le FFM est pris dans une nouvelle tourmente. On apprend en effet que Revenu Québec lui réclame 499 000 $ en impôts impayés. Une demande d’injonction est déposée devant la cour afin de faire arrêter la tenue de l’événement. Or, début août, Serge Losique réussit à verser le montant minimal de 32 800 $, ce qui lui accorde un nouveau sursis.

— Avec la collaboration de Marc-André Lussier, La Presse