Les deux tiers des longs métrages de fiction soumis à la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) par des cinéastes sont des « drames intimistes, assez sombres », soutient l’organisme subventionnaire, en réponse à des producteurs qui l’accusent de ne pas refléter la diversité du cinéma québécois.

Lundi, dans nos pages Débats, une coalition de producteurs indépendants (dont les cinéastes François Delisle et Micheline Lanctôt) s’attaquait de manière virulente à la gestion des fonds publics et à la sélection des projets financés par la SODEC.

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Pour cette nouvelle coalition, qui compte une quinzaine de membres, il y aurait « péril en la demeure » à la SODEC en raison de manque de transparence, de budgets stagnants, de règles d’analyse arbitraires et de « collusion » avec « certains producteurs privilégiés ». Plusieurs, parmi ces producteurs, ont vu leurs projets refusés lors du dernier dépôt à la SODEC.

« Est-ce que les films choisis par la SODEC représentent vraiment ce que les créateurs proposent comme cinéma ? », demandaient-ils dans leur lettre. Tout à fait, répond Johanne Larue, directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle de la SODEC depuis septembre 2016. « La diversité est très importante pour nous », dit cette ancienne chargée de projets de l’organisme subventionnaire. Or, précise-t-elle, « à peu près les deux tiers des projets présentés sont des drames intimistes, assez sombres ». L’autre tiers est composé de comédies et de films de genre.

« On considère que ça marche très bien », estime du reste Johanne Larue, qui souhaite un équilibre entre les films ayant un rayonnement international, les premiers longs métrages de fiction et ceux de cinéastes établis.

« Il n’y a aucune représentation de la part de la SODEC pour augmenter les budgets », regrette de son côté le cinéaste et producteur François Delisle, l’un des porte-parole de la coalition, qui s’inquiète du « sous-financement chronique de notre cinéma ».

« Je ne pense pas que l’on soit pauvre », croit au contraire Johanne Larue. Elle fait notamment référence aux 2 millions supplémentaires obtenus grâce à la politique culturelle du gouvernement du Québec, reconduite par la Coalition avenir Québec (CAQ). La SODEC devrait-elle soutenir plus que 22 films par année, pour une population de 8 millions de Québécois ? demande-t-elle.

« On ne veut pas faire moins de films, mais on veut mieux les financer en augmentant notre mise. »

Perspective unique

La directrice générale de la SODEC dit comprendre et partager certaines des frustrations des cinéastes indépendants, mais croit qu’il faut considérer l’ensemble des décisions prises par l’organisme. « Personne n’a notre perspective », dit-elle, sur l’ensemble des projets proposés. Il y a deux dépôts par année, avec chaque fois une soixantaine de projets de longs métrages de fiction. Une vingtaine d’entre eux sont financés annuellement par la SODEC.

Ce qui a inspiré la lettre de cette coalition de producteurs, selon François Delisle, est la manière cavalière dont on a récemment refusé plusieurs projets de cinéastes indépendants. Seulement 2 longs métrages de fiction sur 27 ayant des budgets de moins de 2,5 millions ont été retenus par la SODEC au dernier dépôt. « La SODEC est un service public. Elle a des comptes à rendre. Elle ne peut pas fonctionner en vase clos », dit le cinéaste de Chorus et de CA$H NEXU$.

La présidente et chef de la direction de la SODEC, Louise Lantagne, jointe hier à Annecy où elle participe au marché du Festival international du film d’animation, se désole des mots utilisés par la coalition de producteurs. « Il n’y a pas péril en la demeure », dit-elle en faisant écho à la lettre publiée dans La Presse.

Son conseil d’administration a été « très heurté », dit-elle, par les accusations de la coalition. « On parle de dérives de gouvernance. On parle de collusion. Ce sont des mots très graves qui ne peuvent être pris à la légère », croit Louise Lantagne, qui a elle-même été chargée de projets pendant huit ans à la SODEC, dans les années 90. Elle se dit ouverte à la critique constructive mais estime qu’il est « dangereux d’attaquer nos institutions avec des mots qui ont une telle connotation ».