(Cannes) Dans It must be heaven, présenté à Cannes vendredi, le réalisateur palestinien Elia Suleiman utilise l’humour pour « critiquer la situation mondiale », où règnent « la police et la violence », dit-il. Pour lui, « c’est l’état d’urgence partout où vous allez ».

Après dix ans d’absence, le cinéaste de 58 ans revient pour la troisième fois en compétition à Cannes, où il avait obtenu le prix du jury en 2002 pour Intervention divine, histoire d’amour empêchée entre un Palestinien de Jérusalem et sa bien-aimée de Ramallah.

Il y avait ensuite présenté en 2009 Le temps qu’il reste, qui suit une famille palestinienne de 1948 à nos jours.

Avec It must be heaven, seule comédie de la compétition, le Buster Keaton palestinien est de retour avec un conte burlesque entre la Palestine, Paris et New York, pour mieux dénoncer l’absurdité d’un monde gagné par la violence.

Film en trois parties, composées de petites saynètes poétiques et drôles — tableaux à l’humour souvent très visuel, sans beaucoup de dialogues, très chorégraphiés —, It must be heaven met en scène un double du réalisateur, appelé « ES », qui promène son regard étonné et contemplatif sur le monde.

Cet homme, qui vit en Palestine, décide de quitter sa terre natale à la recherche d’un pays d’accueil, et va voyager à Paris et New York.

« Le sujet du film, c’est le fait que la violence n’est plus une histoire qui se passe ailleurs dans le monde. Ça se passe partout », explique le cinéaste, dans un entretien à l’AFP.

« C’est une critique de la situation mondiale dans laquelle nous vivons », ajoute-t-il. « Il y a la police, la violence. Nous vivons une guerre non déclarée ».

« État policier »

Habitué à interroger l’identité palestinienne par l’absurde, Elia Suleiman continue à le faire dans ce film, en mêlant humour et mélancolie dans la première partie, avant de plonger plus franchement dans le burlesque à Paris et New York.

« L’humour dépend de l’endroit où se situe le film », souligne le cinéaste, dont les films sont souvent comparés à ceux de Jacques Tati, pour qui il dit avoir « beaucoup d’admiration », même s’il souligne que son inspiration « ne vient pas nécessairement du cinéma », mais « aussi de la littérature et de la philosophie ».

« Dans la première partie, il y a beaucoup d’humour, mais il y a aussi de l’émotion que je veux faire passer, celle du personnage qui quitte son pays », ajoute le cinéaste né à Nazareth et installé aujourd’hui à Paris, après avoir vécu à New York dans les années 80.

Elia Suleiman ne manque ensuite pas de trouvailles visuelles quand il évoque Paris, à travers la mode ou l’omniprésence de la police, une ville où se multiplient les scènes de poursuite.

« C’est une critique de la situation que l’on peut vivre dans une ville comme Paris », indique le réalisateur, qui dit « composer des tableaux nourris d’expériences très personnelles ».

« Si vous mettez Paris à nu, et que vous la regardez, vous verrez beaucoup de gens qui ne vivent pas confortablement. Des gens pauvres, des sans-abri. Et nous sommes dans une sorte d’état d’urgence, c’est devenu un peu un État policier. Où que vous alliez à Paris, maintenant, vous voyez la police ».

Le réalisateur continue ensuite son voyage à New York, critiquant là aussi l’état de la société, avec notamment une scène de cauchemar où des Américains font leurs courses dans un supermarché armés jusqu’aux dents.

Avec humour, Elia Suleiman n’hésite pas aussi à se mettre en scène dans son travail, en cinéaste se rendant à des rendez-vous infructueux. Il imagine notamment une scène savoureuse avec un producteur à Paris, interprété par le distributeur français Vincent Maraval, qui lui explique ne pas être intéressé par son film, car il ne traite pas assez du conflit israélo-palestinien.

Cette histoire, « je l’ai vécue », raconte-t-il. « Je l’ai gardée dans un carnet en me disant “un jour, je la ressortirai” ».