(Cannes) Une main à la recherche du corps dont elle a été séparée, une évocation de l’Afghanistan sous les talibans : les films d’animation, présentés jusqu’ici au 72e Festival de Cannes, s’adressent à un public adulte et n’hésitent pas à puiser leur inspiration dans la littérature.

À l’instar de J’ai perdu mon corps, le premier long métrage renversant de Jérémy Clapin, présenté à la Semaine de la critique.  

L’histoire de deux trajectoires, celle d’une main échappée d’un hôpital, à la recherche dans Paris de son propriétaire, et celle de Naoufel, un jeune homme malmené par la vie, qui tombe amoureux d’une certaine Gabrielle et va tenter de la séduire.

Le film s’appuie sur le roman Happy hand de Guillaume Laurant, le scénariste d’Amélie Poulain, et avait dès le départ l’ambition d’être « résolument adulte ».  

« Le personnage va perdre sa main de manière violente, il ne faut pas chercher à lisser ça. Il faut montrer ça de manière frontale, brute », estime le réalisateur de 45 ans, déjà remarqué pour ses courts métrages et qui s’inspire autant du cinéma classique que de l’animation.

Pour son premier long métrage, ce fan de David Cronenberg et de John Carpenter a beaucoup pensé à Rubber (2010) de Quentin Dupieux, l’histoire d’un pneu tueur en série et télépathe.

Dans J’ai perdu mon corps, « c’est la main qui parle, c’est son film, c’est elle qui nous fait voyager », explique-t-il. Pas de « happy end » au programme dans le film qui s’appuie sur une musique angoissante, un trait précis ainsi des couleurs naturalistes pour décrire Paris au plus juste, avec des scènes incroyables comme, lorsque la main se perd dans le métro et doit affronter des rats.  

Pour renforcer la dimension naturaliste, un tournage léger a eu lieu en amont pour capturer les voix des comédiens, de façon à obtenir un « naturel qu’on aurait eu du mal à reproduire à la barre ».

Et de trois !

Un procédé proche de celui utilisé pour Les hirondelles de Kaboul, adaptation du roman à succès de l’écrivain algérien Yasmina Khadra. Dans le film présenté à Un Certain regard, les comédiens (Simon Abkarian, Swann Arlaud, Zita Hanrot, Hiam Abbass…) ont été filmés en train de jouer, puis dessinés en quelques traits, à partir de ces scènes.

« Je trouvais que parfois, dans l’animation, le jeu n’était pas toujours top », souligne Zabou Breitman, qui a co-réalisé le film avec Eléa Gobbe-Mévellec, pour justifier ce parti pris.  

Résultat : à l’écran, le spectateur (français) reconnait sans difficulté le personnage que joue Simon Abkarian ou Hiam Abbass. Ce souci d’être au plus près des personnages s’insère parfaitement dans l’histoire, celle de deux couples dont les destins vont se croiser, sous le régime des talibans.

Le trait épuré et la palette pastel d’Eléa Gobbe-Mévellec (qui avait travaillé avant sur Ernest et Célestine) confèrent une grande nostalgie et une certaine douceur à une histoire qui s’en éloigne souvent, avec des scènes de lapidation, d’emprisonnement et de violence.

Si le film prend des libertés par rapport au roman original, il a reçu le soutien de Yasmina Khadra qui a accompagné les différentes projections cannoises.  

Un troisième film d’animation devrait marquer la Croisette la semaine prochaine : La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours de Lorenzo Mattotti, adapté du roman éponyme de Dino Buzzati et présenté la semaine prochaine à Un Certain regard. Il s’agit là encore d’une création française, le film ayant été produit par le studio Prima Linea à Angoulême.

Les trois films seront en compétition au festival d’Annecy, courant juin, qui s’est associé au Festival de Cannes pour instaurer dimanche matin un « Animation day ».  

« Ça répond à une demande des professionnels. Des gens qui ne faisaient que de la fiction se disent maintenant qu’il faut s’intéresser un peu plus près au documentaire ou à l’animation, voire à la réalité virtuelle », a expliqué à l’AFP Jérôme Paillard, à la tête du Marché du film.