Scratch est un faux documentaire ou une fiction du sort réel réservé à beaucoup d'enfants immigrés haïtiens de Montréal. Il s'agit également d'un film musical qui montre toute l'importance et la symbolique du hip-hop pour les jeunes minorités.

Présenté en primeur à Fantasia, en juillet, et en salle depuis vendredi, Scratch s'articule autour du personnage de Leslie, un chanteur de hip-hop voué au succès sur qui le rappeur Samian tourne un documentaire. Son frère gagne sa vie comme proxénète, alors que son père est chauffeur de taxi.

Ce synopsis aurait pu être la réalité, mais il vient plutôt du scénario du réalisateur Sébastien Godron.

«Cela vient d'un premier documentaire que j'ai fait, qui s'appelle District 67, qui visait à combattre le décrochage scolaire dans Saint-Michel en décryptant l'aventure de l'écriture d'une chanson rap commune», raconte le cinéaste d'origine française et grand amateur de rap.

Choix de réalisation audacieux, Scratch se veut un «hip-opéra». Les personnages interprètent à plusieurs moments décisifs du film des pièces écrites par Jenny Salgado (alias J.Kyll de Muzion) pour montrer tout «le rêve» et «l'exutoire» que représente pour eux le rap. 

«Les jeunes prennent des raccourcis pour faire de l'argent vite. Nous sommes dans une société de consommation, qui associe la réussite à l'argent», explique Sébastien Godron.

Au-delà du bling-bling

Leslie est le leader de Lights and Shadows, dont fait notamment partie son pote blanc F-X (interprété par Dominique Lagüe, ancien beat-boxer du groupe Motus 3F), et sa copine Wendy. Un accident causé par un accrochage avec un gang rival empêchera le groupe de connaître le succès auquel il est destiné. Blessé, Leslie devra également revoir ses priorités et ses valeurs.

De tels groupes existent dans Saint-Michel et Montréal-Nord, en marge des groupes rap qui reçoivent des subventions et des nominations au gala de l'ADISQ. «Du hip-hop de rue», résume Sébastien Godron.

Narra (né Raphaël Joseph Lafond), qui a collaboré avec Muzion, interprète le rôle de Leslie. «Je ne pensais pas être un acteur, dit-il. En même temps, quand tu fais un clip, c'est un peu de l'acting. Je me suis juste laissé guider par le réalisateur.

«Quand j'ai lu le scénario, j'ai vu plusieurs des traits en commun avec moi.»

L'âme du rap

Notre entrevue a lieu quelques jours avant Osheaga, alors qu'une pétition circule afin d'empêcher le rappeur Action Bronson de s'y produire, à cause de ses chansons misogynes. «Il faut parfois écouter les paroles plus en profondeur. Il y a un message qui cache des pistes de solution.»

Le hip-hop symbolise la quête d'une vie meilleure. «Dans les médias, on parle surtout du rap américain. Nous sommes dans le bling-bling et nous ne sommes plus dans le rap à messages. Rap signifie rythme et poésie (rhythm and poetry), rappelle Narra. Mais c'est devenu une façon légale de faire de l'argent rapidement, et le rap a perdu de son âme.»

On l'aura deviné, Scratch a une grande valeur éducative, voire de prévention. Le «hip-opéra» présente des jeunes Haïtiens destinés à un sombre avenir qui finissent par prendre le bon chemin. 

«C'est la prétention du film, dit Sébastien Godron. Je voudrais que le film rouvre le débat sur l'intégration des minorités et réoriente le regard que les gens ont du rap vers l'art.»

Un drame en plein tournage

Le cinéaste, qui bénéficiait d'un budget modeste de 1 million, a choisi des acteurs de métier et d'autres jeunes du quartier. «Il a fait ses recherches, et son scénario part d'un lieu vrai», dit Narra.

Son père, comme celui de son personnage, ne croyait pas en sa carrière de rappeur. Or, Narra s'est produit aux Francofolies de La Rochelle avec Muzion. «Mon père m'a longtemps dit que c'était un hobby, mais il était fier quand je suis allé en France.»

Sébastien Godron se réjouit d'avoir pu recréer un esprit de famille pendant le tournage. Il en a perdu un membre quand le rappeur et comédien Lovhard Dorvilier, alias Le Voyou, est mort à mi-parcours à la suite d'un malaise pulmonaire. «C'était un ami proche depuis le secondaire», indique Narra, qui lui avait conseillé d'auditionner pour le film. «Nous avons fini le film pour lui», ajoute Sébastien Godron.

«Nous étions véritablement le groupe Lights and Shadows», dit Narra.

Le vrai et le faux s'entremêlent dans Scratch. On parle de gangs de rue sans les nommer. «Mon frère était là-dedans, dit Narra. Mais il y a tellement d'alternatives et des moyens de faire autre chose.»

«À Montréal, nous n'avons pas encore passé un point de non-retour comme à Los Angeles et Chicago», lance Sébastien Godron.