Cinquante-cinq ans après la publication du livre phare de Jack Kerouac, la Beat Generation trouve enfin un écho au cinéma. Le cinéaste Walter Salles a tenu à ce que Montréal tienne un rôle important dans son projet d'adaptation.

On the Road fait partie de ces nombreux ouvrages littéraires réputés «inadaptables» au cinéma. Livre phare de la Beat Generation, le roman de Jack Kerouac en a pourtant donné envie à bien des cinéastes depuis sa publication, en 1957. Francis Coppola en a même acquis les droits d'adaptation à la fin des années 70. Jamais le réalisateur du Parrain n'a pourtant pu trouver la façon ou les moyens de faire aboutir ce projet.

«Je crois que ça tient surtout à l'époque, fait remarquer Walter Salles, heureux réalisateur d'un film qui, estime-t-il, arrive à point nommé. Il ne faut pas oublier qu'au moment où Francis Coppola s'est intéressé à un projet d'adaptation d'On the Road, les États-Unis entraient dans l'ère Reagan. Le contexte très conservateur des années 80 ne se prêtait peut-être pas à la mise sur pied d'un film dont le récit est aussi libre.»

Révélé sur la scène internationale grâce à Central do Brasil, le réalisateur de Carnets de voyage n'aurait probablement jamais pu imaginer qu'un jour, il aurait l'honneur de porter à l'écran le roman qui l'a tant marqué dans son adolescence. D'autant que le contexte dans lequel il a découvert l'univers de Kerouac était plutôt particulier.

«J'avais 18 ans, explique-t-il au cours d'une entrevue accordée à La Presse au Festival de Toronto. Au Brésil, à l'époque, nous traversions une période difficile de notre histoire. À cause du régime militaire, la censure était partout, tant du côté de la presse que de celui de la littérature et des arts en général. On the Road n'était même pas publié en portugais chez nous. J'ai dû le lire en anglais en me le procurant sous le manteau. Le livre est d'ailleurs passé de mains en mains à l'université. Il a eu un tel impact sur moi qu'il ne me serait même jamais venu à l'esprit de l'adapter au cinéma un jour.»

Une longue recherche

Grâce à American Zoetrope, une société que dirigent maintenant Roman et Sofia Coppola, cette proposition est pourtant venue au lendemain de la sortie de Carnets de voyage, un film dans lequel étaient décrites les années de jeunesse de Che Guevara. C'est dire qu'entre le moment où Walter Salles a commencé à travailler sur le projet (avec le scénariste Jose Rivera) et sa présentation en première mondiale au Festival de Cannes l'an dernier, huit ans se sont écoulés. Le montage financier aura finalement été fait à l'extérieur des États-Unis.

«Je ne me sentais pas le droit de me lancer immédiatement dans le tournage, explique le cinéaste. Dans mon esprit, ma passion pour le livre ne constituait pas un atout suffisant. Il me fallait aller plus loin, rencontrer des gens, m'imprégner de tout cet univers. D'où l'idée d'une très longue recherche avant même l'étape de l'écriture du scénario.»

Pendant quatre ans, Walter Salles a rencontré de nombreux intervenants, témoins directs ou indirects de la vie des protagonistes, mais aussi des poètes, des philosophes, des artistes dont les oeuvres furent grandement inspirées par Kerouac.

«Montréal est le lieu où ce projet s'est cristallisé, souligne le cinéaste. À cause des origines québécoises, du personnage, bien sûr, mais aussi parce que c'est là qu'on a pu construire une famille autour de ce film. Si on fait exception de tous ces cônes orange qui rendent la circulation impossible, Montréal a beaucoup de caractère. Et possède une qualité cosmopolite assez unique en Amérique. On dit souvent que Montréal est au carrefour des États-Unis et de l'Europe. C'est très vrai. C'est un point de rencontre. Et de collision aussi parfois. D'une certaine façon, On the Road est aussi l'histoire d'un immigrant qui participe à l'évolution de la société américaine.»

La jeunesse en mouvement

L'adaptation cinématographique d'On the Road arrive aussi à une époque où la jeunesse du monde - et particulièrement la jeunesse québécoise - prend les moyens de faire entendre sa voix pour remettre en question les règles établies. Cette effervescence ravit évidemment le cinéaste, d'autant qu'elle émane de la même pulsion qui, en son temps, a poussé Kerouac à écrire son hymne à la liberté.

«On s'accommode trop souvent à l'idée que tout a été fait, tout a été dit, que les choses sont ainsi faites que nous n'avons plus aucune marge de manoeuvre, fait remarquer Walter Salles. Les jeunes nous prouvent qu'il n'en est rien, qu'il faut contrecarrer ce sentiment d'immobilisme et d'impuissance. De la même manière que l'a fait Kerouac en entraînant tout un mouvement à sa suite, on peut refuser ce qui nous est offert pour tenter de trouver autre chose. À cet égard, la quête existentielle de la Beat Generation est tout à fait contemporaine. Et mon désir de faire ce film est intimement lié à cette envie de secouer le pommier.»

On the Road (Sur la route) prend l'affiche le 18 janvier.