L'an prochain, on commémorera le 35e anniversaire de la mort de Claude François. Même après tout ce temps, le chanteur populaire reste bien vivant dans la mémoire collective française. Véritable machine à tubes en son époque (Le téléphone pleure, Cette année-là, Le mal aimé, Alexandrie, Alexandra, sans oublier l'incontournable Comme d'habitude), il est celui ayant introduit en France la chanson populaire «à l'américaine», tant sur le plan du rythme que sur le plan de la gestion d'une carrière.







Un film à caractère biographique - le biopic classique - est en préparation depuis une bonne dizaine d'années au moins. Le projet a finalement pris son envol grâce à l'arrivée dans le décor du réalisateur Florent-Émilio Siri (Ennemi intime) et de l'acteur belge Jérémie Renier. Le premier ne voyant que Renier pour rendre justice au personnage, l'accord de l'acteur était d'ailleurs impératif à la mise sur pied du projet.




«Je n'accepte jamais une proposition d'emblée, a pourtant fait remarquer Jérémie Renier au cours d'une interview accordée récemment à Paris. Le cas de Cloclo est très particulier, dans la mesure où l'on est venu me chercher avant même qu'un scénario existe! J'ai posé mes conditions, car je savais que le projet pouvait être très casse-gueule. Je souhaitais d'abord que le scénario mette autant l'accent sur l'homme que sur la vedette. Il me semblait primordial d'éviter le piège de l'hagiographie. J'ai aussi exigé qu'on m'accorde le temps de préparation nécessaire, tant pour la recherche que pour la maîtrise des performances sur scène.»




Une manière jouissive





Révélé à l'âge de 14 ans grâce au film La promesse des frères Dardenne, dont il est l'un des acteurs fétiche, Jérémie Renier est né trois ans après la mort de Claude François. Il n'avait auparavant en tête que l'image ringarde du chanteur à paillettes exécutant des pas de danse un peu ridicules avec les «Clodettes» en arrière-plan. «Chez les Renier à l'époque, on écoutait davantage du Brel ou du Gainsbourg.»




«Quand on me l'a livré, j'ai lu le scénario de Julien Rappeneau avec une certaine appréhension au départ mais, honnêtement, j'ai été très emballé, dit-il. J'ai d'abord trouvé jouissive la manière avec laquelle les chansons étaient intégrées dans le récit, et j'ai aussi vu tout de suite les possibilités énormes qui s'offraient à moi sur le plan du jeu. Claude François était un personnage qui jouait beaucoup. D'abord face à lui-même, mais aussi avec ses proches et les gens de son entourage. Pour un acteur, il y a là beaucoup de matière.»




Autre défi de taille, Claude François n'était pas un homme «aimable». Par moments, il pouvait même être odieux, tant avec les femmes de sa vie qu'avec ses proches ou son entourage professionnel. Comment un acteur peut-il investir un personnage dont les comportements sont parfois indéfendables?




«Mon but n'était pas d'aimer le personnage, mais d'arriver à le comprendre, explique Jérémie Renier. Pour défendre un personnage, il faut absolument trouver sa logique. J'avoue qu'il y a des moments où j'avais bien de la difficulté à trouver cette fameuse logique. Claude François était parfaitement égocentrique. Il n'y avait que lui qui existait. Les autres étaient là pour le mettre en lumière.»




«Cela dit, poursuit-il, j'ai rencontré ses proches, des gens qui ont travaillé avec lui. C'est à partir de l'image que tous ces gens ont gardée de lui - une image parfois contradictoire - que j'ai tenté d'être le plus juste possible dans ma composition. Ce qui m'a frappé, c'est que même ceux avec qui il a été odieux gardent quand même de lui un souvenir sympathique. Odieux, oui, mais très généreux aussi. Et touchant. Il était atteint du syndrome de Peter Pan. C'était un enfant qui ne voulait pas vieillir. Un éternel insatisfait qui ne pouvait jamais parvenir au bonheur.»




Un traitement sobre





La mort du chanteur, bêtement électrocuté dans sa baignoire lorsqu'il a voulu changer une ampoule, a donné lieu à toutes sortes de rumeurs et de légendes urbaines. Dans le film, cet épisode est traité de façon très sobre, avec un soupçon de suspense.




«Les rumeurs sont tellement tenaces qu'elles sont inscrites dans la mémoire collective comme des vérités, fait remarquer Jérémie Renier. Moi le premier, j'ai dit un tas de conneries là-dessus, comme tout le monde. Depuis que je connais les enfants de Claude, je sais à quel point tout cela fut violent à vivre pour eux. Non seulement ont-ils perdu leur père très jeune, mais ils ont dû aussi composer avec toutes les blagues de mauvais goût qui ont circulé. Je crois que la sobriété avec laquelle nous avons traité cet épisode leur a fait du bien.»




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Trois questions à Florent-Émilio Siri





Q: Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet? Étiez-vous un admirateur de Claude François au départ?




R: «Avant de travailler sur ce projet, j’entretenais sur Claude François à peu près les mêmes clichés que tout le monde. Mais il est tellement présent dans notre imaginaire collectif qu’on peut pratiquement connaître toutes ses chansons sans n’avoir jamais acheté un seul de ses disques! Puis, les producteurs du film m’ont montré un documentaire sur Claude François. Ç’a été une véritable révélation. Je me suis d’abord rendu compte que je le connaissais très mal. Ensuite, j’ai constaté à quel point sa vie, même très courte, a été incroyablement riche, marquée par de nombreux paradoxes et autant de contradictions. J’y ai surtout vu un personnage de cinéma comme on en trouve rarement.»




Q: Vous n’épargnez pas le personnage. Vous le montrez parfois même odieux avec ses proches et son entourage.




R: «Cela est vrai. Mais je vois en même temps chez lui une forme de professionnalisme exacerbé. Claude François visait la perfection. Toujours. Dans tout. Il était à la fois doté d’un caractère très latin et très oriental. Les deux extrêmes existaient en lui, il pouvait être détestable une journée et adorable le lendemain. J’ai voulu faire écho à cette complexité. Les artistes ont parfois des personnalités très compliquées. J’ai cherché l’équilibre. Je ne voulais pas tomber dans l’hagiographie, pas plus que dans le film à charge.»




Q: Vous avez sollicité l’accord des enfants de Claude François très tôt dans le processus. Pourquoi?




R: «Parce que ce sont eux qui gèrent le patrimoine musical de leur père. Leur accord était essentiel pour obtenir les droits des chansons. Ils l’ont fait en toute connaissance de cause, sachant très bien que le portrait ne serait pas toujours flatteur. Il y avait des épisodes plus «délicats» pour lesquels ils étaient plus réticents au départ, notamment celui où l’on raconte comment le plus jeune a dû vivre caché du public. Cet élément de leur vie de famille n’avait jamais été révélé publiquement jusque-là. Quand je leur ai montré le film, ils l’ont reçu de façon frontale, même s’ils étaient encore de jeunes enfants à l’époque. Ils ont eu l’impression d’une réhabilitation de l’artiste qu’était leur père. Mais à vrai dire, ce sont surtout les adultes faisant partie de l’entourage de Claude François qui ont été troublés et bouleversés par le film. Ils avaient l’impression que Claude revivait le temps du film. Il est vrai que Jérémie offre une performance criante de vérité!»




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Cloclo: La légende de Claude François prend l'affiche le 29 juin.




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