Il ne voulait pas être la proie des flashes. Ça tombait mal. Il y en avait à la douzaine mercredi devant l’Agora, pour le dîner d’ouverture, l’un des événements les plus sélects du Festival de Cannes.







J’avais réussi à obtenir une invitation in extremis, après des refus successifs et des « je crois que ça ne va pas être possible ». Il avait décliné la sienne, qu’il a pu rattraper sans problème. Il aura beau dire, en riant, qu’il est un cinéaste de seconde classe ici, Xavier Dolan compte à Cannes.




Deux très longues files au Palais des festivals, pour la projection de son nouveau film, Laurence Anyways, témoignaient vendredi après-midi de l’engouement des festivaliers (de toutes origines) pour son cinéma. Ça se bousculait au portillon, et je n’ai vu que trois personnes quitter la salle avant le générique de cette œuvre ambitieuse, foisonnante, dense, émouvante, éblouissante et par moments irritante, de 2 h 39.




Comme son cinéma, Xavier Dolan ne laisse pas indifférent. On le constate en l’accompagnant. Sur la Croisette, sans qu’il les remarque, les têtes se retournent, les regards s’échangent, les bruissements sont constants.




Depuis J’ai tué ma mère, présenté ici en première mondiale à la Quinzaine des réalisateurs il y a trois ans, Xavier Dolan s’est intégré dans le paysage cinématographique français. Ses deux premiers films, très bien accueillis par la critique, ont été finalistes au César du meilleur film étranger. Le public a suivi : 55 000 Français ont vu J’ai tué ma mère au cinéma ; quelque 135 000, Les amours imaginaires.




L’attention médiatique est à son comble pour Laurence Anyways, troisième long métrage de Dolan, présenté vendredi en sélection officielle dans la section Un certain regard. Une vingtaine d’entrevues accordées à la presse française depuis jeudi, plusieurs autres à des médias québécois et canadiens, et pas moins de 60 entretiens à la chaîne prévus aujourd’hui à des médias suisses, autrichiens, suédois, japonais, australiens, israéliens, serbes, croates, belges, allemands, grecs, brésiliens, norvégiens, russes, etc.




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Les flashes s’étaient pour la plupart éteints. Dès son entrée à l’Agora, il a été accueilli comme l’enfant prodigue par la directrice d’Un certain regard, Geneviève Pons-Cailloux, affable et subtile, qui nous a raccompagnés à sa table.




Tout le gratin cannois se trouvait au dîner d’ouverture. Le jury de Nanni Moretti, l’équipe du film de Wes Anderson, la direction du festival, Harvey Weinstein, et sa cour. Pendant que le nabab de Hollywood présentait Bill Murray à Michel Hazanavicius, la compagne du cinéaste de The Artist s’est approchée de notre table. Bérénice Béjo, la maîtresse de cérémonie du Festival, voulait dire à Xavier à quel point le couple admire son travail. « Vous être très en beauté ce soir », lui a répondu Dolan.




À la table réunissant quelques cinéastes d’Un certain regard, c’était lui le « vétéran ». Conseillant le sympathique cinéaste américain Benh Zeitlin, Grand Prix du jury du plus récent Festival de Sundance – de six ans son aîné –, sur le modus operandi cannois.




Xavier Dolan est né à Cannes, en quelque sorte. Avec le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, qui l’a rapidement pris sous son aile, il a établi une relation presque filiale.




Avec les tensions qui l’accompagnent. Il craint d’avoir froissé Frémaux, pour qui il a beaucoup de respect et d’affection, en disant qu’il était déçu que Laurence Anyways ne se retrouve pas en compétition.




Bien sûr qu’il est déçu. Parce que la compétition semblait pour lui une étape à portée de main. Qu’il a des envies de grandeur. Qu’il est orgueilleux. Qu’il ne tient jamais en place (même physiquement) et qu’Un certain regard, où était présenté Les amours imaginaires il y a deux ans, constitue pour lui un statu quo.




Ambitieux comme il est, encouragé par toutes les rumeurs internationales qui envoyaient son film en compétition officielle, Xavier Dolan, 23 ans, se voyait déjà comme le plus jeune cinéaste à concourir pour la Palme d’or. Avec ce film-là, précisément, dit-il. Parce que ses prochains projets ne seront pas du type que l’on retient d’ordinaire en compétition (on verra). Pour le Québec aussi, qu’il n’a aucune intention de quitter malgré l’appel des sirènes françaises.




« Je déteste quand on nous appelle des Canadiens ! », reproche-t-il à son amie, la comédienne Julie Ferrier, que l’on retrouve sur la terrasse avec d’autres actrices françaises, Marie Gillain, Geraldine Pailhas et Virginie Ledoyen. Dolan revendique sa québécitude et exige qu’on lui parle en français quand, dupés par son anglais sans accent québécois, des serveurs s’adressent à lui dans la langue de James Cameron.




Tim Roth, après avoir longuement discuté avec Diane Kruger, nous a gentiment tenu la porte afin que l’on puisse prendre l’air. Mélita Toscan du Plantier, la jeune veuve du célèbre producteur français, lui a fait promettre de se rendre au prochain Festival international du film de Marrakech, dont elle est la directrice.




Xavier Dolan navigue parmi les personnalités du cinéma mondial comme un poisson dans l’eau. Pas le moindrement intimidé. Seulement légèrement irrité par les railleries de ses amis français, qui commentent sa nouvelle coupe de cheveux et blaguent sur le fait qu’il soit « seulement » à Un certain regard.




En route vers la fête du film d’ouverture, à la plage du Carlton, un étudiant suédois, les joues rosies, a déclaré toute son admiration à Dolan en lui demandant comment il pourrait obtenir une invitation pour Laurence Anyways.




Au party, beaucoup moins sélect que le dîner, les stars se faisaient attendre. Nous avons discuté de cinéma.




De Titanic, qui l’a profondément marqué et qui m’a profondément déplu. De Tokyo Story d’Ozu, l’ultime chronique familiale. De Vincent Gallo. De Venise qui lui faisait de l’œil en compétition pour Laurence Anyways. De ses espoirs et de ses déceptions. D’un prochain film, dont il vient d’écrire 85 pages de scénario en deux semaines. De Tom à la ferme, l’adaptation de la pièce de Michel Marc Bouchard, dans lequel il compte jouer. D’une pièce d’Emmanuel Schwartz qu’il compte aussi adapter.




Il était 1 h du matin. Nous étions sur le point de partir. Puis, les acteurs de Moonrise Kingdom sont arrivés, Tilda Swinton et Bruce Willis en tête. Bérénice Béjo a aperçu Xavier, lui a présenté Michel Hazanavicius. Ils se sont éclipsés, en pleine conversation. J’ai essayé de les suivre, mais j’ai été arrêté devant la zone V.I.P.




« Celui-là ne me dit rien », a dit la relationniste à l’agent de sécurité, comme si je n’étais pas là. « La sortie, c’est par là ! », qu’il m’a dit sèchement. On retrouve vite son rang, à Cannes, quand on n’est plus en bonne compagnie.