Un homme se raconte en voix hors champ, alors que le spectateur est toujours plongé dans le noir. Puis, une silhouette de femme, qu'on ne verra que de dos, déambule dans la rue. Ce seront là les moments les plus sobres d'un film-fleuve foisonnant, dans lequel on retracera pendant 10 ans, de 1989 à 1999, le parcours d'un couple dans lequel l'homme a décidé de changer de sexe.



Le récit, très ambitieux, se déploie ainsi de façon ample, mesurant l'impact du choc dans l'intimité du couple d'abord, puis auprès de la famille, des amis, des collègues de travail, et, plus largement, auprès de la société. Depuis le jour où Laurence Alia (Melvil Poupaud), prof de littérature et auteur de poésies, annonce à son amoureuse Fred (Suzanne Clément) son désir de réparer ce qu'il estime être une erreur de la nature, le poids de tous les regards se fera très lourd. La scène de la révélation, campée au beau milieu d'un lave-auto, donne le ton à une oeuvre où tout sera lâché sans retenue, tant sur le plan du jeu et des dialogues que des fulgurances visuelles. Car fulgurances il y a. On reconnaît d'ailleurs là le style d'un cinéaste qui, assurément, aime jouer avec les références et la grammaire du cinéma.

Cela dit, Laurence Anyways n'est pas qu'exercice de style. Contrairement aux Amours imaginaires, la forme ne prend pas ici le pas sur le fond. Xavier Dolan, qui signe son troisième long métrage, ne traite pas de la transsexualité sous un angle clinique ou racoleur. La particularité du héros sert plutôt de prétexte pour mettre à l'épreuve la force d'un sentiment amoureux. Comment réagir quand, au coeur d'une relation hétérosexuelle classique, l'être aimé vous annonce devoir changer de sexe pour assurer sa propre survie? Le croirez-vous s'il dit que cela n'altère en rien l'amour qu'il vous porte? Fred décide d'accompagner son amoureux dans sa démarche. C'est d'ailleurs là où le récit tire son principal intérêt. Non seulement Fred et Laurence doivent-ils vivre cette nouvelle réalité le plus harmonieusement possible, mais ils doivent de surcroît affronter un monde vers lequel ils renvoient une image plus dérangeante.

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Cette pression sera cristallisée par une scène dans un restaurant où, devant les préjugés exprimés par une serveuse, Fred se lancera dans une tirade dont l'aplomb n'est pas sans rappeler celui qu'Anne Dorval avait affiché dans J'ai tué ma mère. Clin d'oeil inattendu, Denise Filiatrault, waitress en question, évoque ici furieusement Il était une fois dans l'Est de Brassard et Tremblay.

Parsemé d'apartés plus oniriques et tapissé de tubes de l'époque, Laurence Anyways se distingue par ses excès. Dolan y affiche un sens assassin de la réplique et assume parfaitement son penchant vers le mélodrame. Il prend aussi visiblement plaisir à faire intervenir des comédiens vétérans le temps de courtes participations (outre Denise Filiatrault, on remarque notamment les présences de Catherine Bégin et de Gilles Renaud). Melvil Poupaud et Suzanne Clément se révèlent très justes, malgré le caractère outrancier de l'univers dans lequel ils évoluent. Monia Chokri, Nathalie Baye et Sophie Faucher tirent aussi habilement leur épingle du jeu dans les rôles périphériques.

La durée - un peu poussive à 2h40 - est à la mesure du caractère démesuré d'un film parfois un peu too much. Cela dit, on ne pourra jamais reprocher à Xavier Dolan de manquer de vision.

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* * * 1/2


Drame sentimental réalisé par Xavier Dolan. Avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri. 2h39.