La rumeur entourant le nouveau film de Jacques Audiard est fondée. De rouille et d’os est une œuvre incandescente et magnifique, digne des plus hautes distinctions.







Sur papier, De rouille et d’os est inspiré d’un recueil de nouvelles de Craig Davidson. Mais dans le scénario qu’ont écrit Jacques Audiard et Thomas Bidegain, il ne reste plus grand-chose des personnages créés par l’auteur canadien. «Il reste surtout l’humeur, la couleur, l’ambiance, l’atmosphère», a précisé hier l’auteur cinéaste en conférence de presse.




Après Un prophète et son univers carcéral, Audiard avait surtout envie de lumière, de grands espaces. Il avait aussi besoin d’éclaircir le trait un peu. Il tenait en outre à ce que le personnage principal soit féminin cette fois. Il avait apprécié les qualités littéraires du recueil de Davidson, mais il voulait aussi planter une histoire d’amour dans cet univers de déclassés. D’où l’idée de changer le sexe du personnage. Et de lui inventer un amoureux.




L’histoire sentimentale racontée dans De rouille et d’os n’est pas banale. Elle concerne une dresseuse d’orques dans un parc aquatique de la Côte d’Azur et un homme qui tente de survivre avec un jeune fils de 5 ans dans les bras, avec pour seuls atouts ses muscles et ses petits emplois précaires.




D’une rencontre fortuite où rien ne s’était passé entre eux à la sortie d’un bar, sinon un peu de bienveillance, leur relation emprunte un nouveau virage le jour où Stéphanie redonne enfin de ses nouvelles à Ali. Leurs vies ont changé. Celle qui faisait valser les orques est clouée à un fauteuil depuis un accident survenu pendant un spectacle. Celui qui a gagné un temps sa croûte comme videur de bar participe maintenant à des combats extrêmes organisés de façon clandestine.




«Je déteste la violence et je déteste encore plus la filmer, dit Jacques Audiard. Pourtant, j’y reviens dans chaque film. C’est un peu bizarre!»




De sérieux candidats






Dans cette œuvre filmée au plus près de la peau, Marion Cotillard donne la réplique à Matthias Schoenaerts, révélé récemment grâce à Bullhead (en nomination cette année pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère). Tous deux sont remarquables. Et deviennent d’un coup de très sérieux candidats aux prix d’interprétation.




«Ce sont des personnages de temps de crise, précise Jacques Audiard. Qui évoluent dans un monde âpre au bord de la barbarie. Quand les temps sont aussi difficiles, qu’est-ce qui reste à vendre sinon son corps?»




D’où ce choix de recourir à un type très physique pour incarner Ali. Au départ, Audiard avait songé à faire appel à un non-professionnel pour le rôle. Mais Bullhead a tout changé. Matthias Schoenaerts, Belge flamand qui maîtrise parfaitement le français et l’anglais, fait partie de ces acteurs qui affichent à la fois charisme, sensibilité et profondeur. Sa partenaire de jeu Marion Cotillard l’inscrit d’emblée parmi les meilleurs acteurs du moment, à classer dans la même catégorie que Leonardo DiCaprio ou Daniel Day Lewis.




Une actrice virile





Jacques Audiard affirme ne jamais penser aux acteurs au moment de l’écriture, mais une fois le scénario de De rouille et d’os écrit, un nom s’est imposé : Marion Cotillard. L’actrice, lauréate d’un Oscar grâce à sa composition dans La vie en rose, n’avait encore jamais tourné sous la direction du réalisateur de De battre mon cœur s’est arrêté.




«J’avais envie que nos destins se croisent un jour, explique l’auteur cinéaste. Marion est une actrice virile, mais aussi très sensuelle. Dans mon esprit, aucune autre comédienne ne pouvait interpréter le rôle de Stéphanie de cette façon.»




Pour l’actrice, qui a tourné beaucoup de films internationaux au cours des dernières années, l’occasion était belle de travailler avec le chef de file du cinéma français contemporain.




«J’ai été bouleversée par l’histoire dès la lecture du scénario. Mais, contrairement à ce qui arrive habituellement, je n’étais pas certaine de bien comprendre le personnage, fait remarquer l’actrice. Je ne saisissais pas tout à fait qui était cette femme. J’ai demandé à Jacques si c’était grave, mais il m’a tout de suite répondu qu’il ne la saisissait pas non plus ! J’étais d’autant plus enthousiasmée à l’idée de partir à la rencontre du personnage avec lui.»




L’actrice a aussi dû ajuster le comportement physique de son personnage, qui a les jambes amputées. À cet égard, Audiard estime qu’il n’aurait pas pu tourner son film de façon aussi «simple» il y a 10 ans.




«Je n’ai jamais été friand des effets spéciaux et je ne connais pas grand-chose à la technique, concède-t-il. Mais là, il suffit de recouvrir de vert les éléments qui doivent être invisibles à l’écran et le tour est joué!»




Audiard a aussi fait une profession de foi envers le cinéma de l’Hexagone en disant se sentir «très cinéaste français». «Je suis d’abord un prototype de cinéphile français, a-t-il déclaré. Une espèce dont la disparition a été annoncée dans les années 80!»  




De rouille et d’os a pris l’affiche hier en France. Relayé chez nous par Métropole Films, le film devrait sortir au Québec à l’automne.