Une jeune femme a crié. Une longue complainte stridente. J'ai cru qu'elle s'était coincé la jambe sous les roues d'une limousine. C'était Bruce Willis. Pas au volant. Elle a vu Bruce Willis. Et elle a crié.



Pas Barack Obama. Pas George Clooney. Bruce Willis, arrivant hier soir sur le boulevard de la Croisette et s'apprêtant à monter les marches du Palais des Festivals au son du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, le coco rasé, sur le tapis rouge posé juste à temps pour l'ouverture du 65e Festival de Cannes.

Un Festival qui a commencé dans l'humour absurde et charmant de Moonrise Kingdom de Wes Anderson, dont Bruce Willis tient l'affiche avec Edward Norton, Tilda Swinton, Frances McDormand, Bill Murray et de jeunes comédiens encore inconnus.

Peu importe. Les badauds n'en avaient que pour Bruce Willis. «Ze one and only», comme l'a présenté l'annonceur du Festival, où l'acteur de Moonlighting a mis les pieds pour la première fois en 1994 pour Pulp Fiction (éventuelle Palme d'or). À croire que Piège de cristal est un film culte en France...

Il y avait pourtant bien du beau monde, hier soir, sur le tapis rouge. Les égéries de L'Oréal Virginie Ledoyen, Leïla Bekhti, Freida Pinto et Eva Longoria, qui portait ce qui m'a semblé être un long tapis de bain lilas. Elle a déclaré que c'était «le plus beau tapis rouge qu'elle n'avait jamais vu». Me semblait qu'il était lilas.

Il y avait aussi le beau Chris Pine, le nouveau James T. Kirk. Et Jessica Chastain. Et Lana Del Rey. Et Jane Fonda, qui roulait des épaules aux côtés d'Alec Baldwin. Et Tim Roth. Et Bérénice Bejo et Michel Hazanavicius. Et les membres du jury, dont Ewan McGregor, Emmanuelle Devos, Nanni Moretti, Jean-Paul Gaultier et Diane Kruger. Et bien d'autres, arrivés sous escorte policière, dont je ne connaissais pas les noms.

«Et ça, c'est qui?», m'a demandé une dame, me prêtant un savoir mondain que je n'ai pas en remarquant ma carte de presse. «Je ne sais pas», que je lui ai répondu. Elle avait l'air déçue. Mais pas autant que ces deux jeunes américains en smoking, qui comme des dizaines d'autres suppliaient tout le monde et sa mère de leur transmettre une invitation à la projection officielle du soir. En échange de quoi ils promettaient de faire un solo de «air guitar» bien senti. Original.

Le jury veut être surpris



Les conférences de presse de jurys se suivent et se ressemblent à Cannes. Hier, tous les jurés ou presque ont dit espérer être «surpris» par les films de la compétition. Un peu plus et ils disaient qu'ils espéraient les «aimer». Nous aussi.

Les journalistes posaient surtout des questions à Jean-Paul Gaultier, afin de savoir si le couturier est influencé dans son appréciation d'un film par la couleur ou la coupe d'un vêtement (ou quelque chose du genre). Si bien que j'ai craint qu'on ne pose pas de question à Nanni Moretti...

Alors je lui ai demandé: «Plusieurs présument que votre empreinte se fera sentir sur le jury. Comment envisagez-vous votre présidence?» Il m'a souri et a répondu: «Malheureusement, démocratique... Je me vois comme un juré parmi les neuf. Mais comme un chef de classe. Pour tous les films, nous aurons le même intérêt, la même intention et le même respect. Différentes sensibilités vont se confronter. Nous sommes autour de cette table des gens sans préjugés et très ouverts. Heureusement que les pouvoirs du président sont limités!»

Juré à Cannes en 1997, le cinéaste romain, Palme d'or en 2001 pour La chambre du fils, avait tout dévoilé ou presque des délibérations du jury à la presse italienne, ce qui était interdit. «Le jury du Festival de Cannes est-il comme le conclave de votre plus récent film, Habemus papam?», lui a demandé un collègue.

«Oui. Et d'ailleurs, je ne comprends pas qu'il y ait une conférence de presse du jury, après le palmarès. Quand j'étais juré il y a 15 ans, nous étions absolument obligés à une réserve et un silence total. Il y avait deux derniers tabous: le silence du jury à Cannes et le conclave. Il ne reste que le conclave. On se revoit dans 10 jours. Nous serons très diplomates et banals. Ou peut-être pas...»

Une compétition sans femmes



La jurée britannique Andrea Arnold a commenté hier la controverse entourant l'absence de femmes dans la compétition, en déclarant qu'elle était représentative d'une réalité.

«Je ne voudrais pas sentir, comme femme, qu'on me sélectionne pour me faire l'aumône, a dit la réalisatrice des excellents Red Road et Fish Tank, Prix du jury en 2006 et 2009. Cannes est un condensé de ce qui se passe dans le monde du cinéma, où il y a peu de femmes cinéastes. Dans la mesure où les femmes comptent pour la moitié de la population mondiale, c'est une chose déprimante et très préoccupante.»

La cinéaste a ainsi appuyé le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, qui s'est dit en début de semaine contre toute forme de discrimination positive, en réponse à une lettre de cinéastes (dont Virginie Despentes et Coline Serreau) dans Le Monde, qui reprochait au Festival de Cannes d'être sexiste.

Pas un seul film réalisé par une femme retenu sur les quelque 1750 proposés aux sélectionneurs, ça fait pourtant réfléchir. Ce n'est pas parce que l'on a identifié le symptôme qu'on ne fait pas partie de la maladie.