Cinéma-vérité

Depuis sa fondation, il y a 11 ans, la maison de production EyeSteelFilm garnit son catalogue d’œuvres solides, dont Inside Lara Roxx, Mokhtar, Last Train Home et maintenant China Heavyweight, documentaire de Yung Chang sur la boxe et ses effets pervers dans la Chine rurale. La recette du succès de la maison se trouve dans un travail de longue haleine et dans l’influence du cinéma-vérité québécois, disent ses cofondateurs.




Sur un des murs du grand loft éclairé qui loge les bureaux de la maison de production montréalaise EyeSteelFilm, plusieurs trophées reposent sur les tablettes d’une bibliothèque. Il y a un Jutra, deux Génie, un trophée polonais, plusieurs américains.




Ce n’est là qu’une partie des prix récoltés par les productions d’EyeSteel depuis sa fondation. Une vingtaine de films en 11 ans, note le cofondateur Daniel Cross, homme souriant et débonnaire qui nous accueille comme un vieil ami. La plupart des œuvres sont des documentaires. Mais on compte aussi un long métrage de fiction et un court, Mokhtar d’Halima Ouardiri, qui, depuis son lancement en septembre 2010 à Toronto, accumule les récompenses.




Dernier-né en date : China Heavyweight, du Montréalais d’adoption Yung Chang, jeune réalisateur qui avait déjà signé Up the Yangtze en 2007. Lancé à Sundance en janvier et à l’affiche ici depuis vendredi dernier, ce documentaire est campé dans la Chine centrale où des entraîneurs de boxe recrutent les meilleurs espoirs, qui doivent un jour choisir entre une lucrative carrière professionnelle et l’honneur de la boxe amateur. Ce qui provoque de graves déchirements personnels et au sein des familles concernées.




« En 1997, Yung fut mon premier étudiant, dit Daniel Cross, qui enseigne à l’École de cinéma Mel Hoppenheim de l’Université Concordia. Lorsque j’ai lancé mon film The Street, Yung, qui venait d’Oshawa, m’a invité au festival de films de sa ville. J’y ai rencontré sa mère, qui m’a demandé pourquoi il n’étudiait pas pour devenir docteur comme son père (rires). Moi, je sais depuis ses débuts qu’il est un bon réalisateur. Il a une bonne compréhension du langage du cinéma. Chez EyeSteel, notre préférence va aux films conçus pour le grand écran, et c’est dans cette perspective que s’inscrit son travail. »










Yung Chang rend ses compliments à M. Cross et louange sa façon de travailler en collégialité.




À cela s’ajoute l’inspiration du cinéma-vérité (d’aucuns préfèrent le vocable de cinéma direct), courant cinématographique québécois très en vogue dans les années 60 qui saisit les gens en action. « Gilles Groulx, Jean-Pierre Perreault, Michel Brault, le cinéma de l’ONF, tout cela nous influence », indique M. Yang.




Son film est un reflet de cette affection. Ainsi, dans le combat de boxe final de son film, Yang Chung a travaillé avec cinq caméras à la fois. Difficile d’être plus près des sentiments des gens dans la salle, autour du ring et sur celui-ci. À un autre moment, le réalisateur a filmé un jeune boxeur expliquant à sa mère pourquoi il veut quitter le nid familial. Lorsqu’on lui demande s’il a orchestré la scène, il répond : « J’aurais été un génie de réussir à écrire une telle scène. Ce qu’il faut, c’est du temps. Ici, on a le temps nécessaire pour créer des liens avec nos sujets. Parfois, ils ne veulent pas qu’on les filme et je respecte ça. À d’autres occasions, lorsqu’une crise s’annonce, ils nous avertissent d’avance. Ç’a été le cas pour la scène que vous évoquez. »




Daniel Cross, lui, insiste beaucoup sur la dimension humaine des histoires. « Nous aimons raconter des histoires d’individus qui ne se retrouvent pas dans les médias. On veut aussi casser des stéréotypes, comme dans le cas de ce film qui nous montre une tout autre Chine. »




EyeSteel a plusieurs autres projets en production. Un film sur la forêt humide de l’île de Vancouver, un autre sur les contraventions remises aux itinérants, la fascinante histoire de l’inventeur de l’ordinateur qui a été pillé, etc.




On n’a pas fini d’entendre parler de cette boîte dont chaque projet sort après un long mûrissement. « On met trois ans à faire chacun de nos films, dit Daniel Cross. Le simple montage prend près d’un an. »