Les étudiants de cinéma en grève pourront bientôt faire un trimestre de rattrapage. À compter du 26 mai, le Cinéma du Parc présente un condensé ambitieux (915 minutes!) de l'histoire du cinéma mondial, d'après le documentariste britannique Mark Cousins.

 

 

The Story of Film est un exercice de synthèse colossal, fascinant, d'une richesse inouïe, truffé d'anecdotes, d'extraits, d'entrevues et d'analyses de films.

 

«C'est l'histoire épique du cinéma, à travers 12 décennies, 6 continents et 1000 films», résume le cinéaste de 47 ans, qui a travaillé plus de cinq ans à l'adaptation pour l'écran de son essai éponyme. Un documentaire de plus de 15 heures, destiné à la télévision, présenté entre autres au dernier Festival international du film de Toronto.

 

Cette remarquable leçon de cinéma sera présentée en tranches de deux épisodes (130 minutes) jusqu'au 8 juillet. «C'est un document d'exception qui devrait intéresser tous les cinéphiles», croit Roland Smith, propriétaire du Cinéma du Parc.

 

Il a bien raison. The Story of Film commence avec des images saisissantes de Saving Private Ryan de Steven Spielberg, pendant le débarquement sur les côtes normandes. «Une des forces du cinéma est de nous faire sentir comme si nous y étions», dit Mark Cousins, qui assure lui-même la narration de son film, avec son fort accent d'Irlande du Nord.

 

Gros plan, dans la foulée, sur le visage diaphane de Juliette Binoche, s'illuminant sous les rayons du soleil dans Trois couleurs: Bleu de Krzysztof Kieslowski. Une façon de donner le ton à ce documentaire qui embrasse autant le cinéma d'auteur que le cinéma plus populaire, mais qui insiste sur le fait que le cinéma est d'abord un art avant d'être un produit commercial.

 

«L'argent ne mène pas le cinéma, déclare Mark Cousins. Qu'est-ce qui mène le cinéma? Ce sont les idées.» L'idée qu'un homme puisse voir ses malheurs dans les bulles d'une bière, dans Odd Man Out du réalisateur britannique Carol Reed (1947). Et que cette scène puisse inspirer des réflexions semblables à un personnage de Deux ou trois choses que je sais d'elle de Jean-Luc Godard, 20 ans plus tard. Ou encore à Travis Bickle dans Taxi Driver de Martin Scorsese, admirateur de Reed et de Godard, influencé aussi sur le plan formel par Pickpocket de Robert Bresson. L'évolution du cinéma grâce à l'émulation des cinéastes cinéphiles.

 

Si sa structure reste essentiellement chronologique, le documentaire de Mark Cousins propose davantage qu'un simple survol des moments marquants et des grands mouvements du cinéma. Il s'intéresse, avec acuité et un regard critique fort pertinent, à ce qui distingue le septième art des autres. Des premières images des frères Lumière diffusées boulevard des Capucines à Paris, en 1895, à l'influence parfois sournoise du cinéma sur l'opinion publique (dans l'incontournable mais profondément raciste The Birth of A Nation de D.W. Griffith, par exemple).

 

Je n'ai eu l'occasion de découvrir que quelques épisodes de The Story of Film pour l'instant. Celui sur la Nouvelle Vague et ses inspirations m'a particulièrement fasciné. À commencer par les observations de Lars von Trier sur le cinéma d'Ingmar Bergman, dont il a vu tous les films. «Il a eu une grande influence sur moi, dit le cinéaste de Melancholia. Ses mots étaient tellement forts. Je viens de revoir Sarabande, qui n'est pas son plus grand film, mais dont les dialogues sont excellents.»

 

The Story of Film nous donne aussi à voir des dessins d'enfant de Bergman et les lieux de son enfance, parmi lesquels cette chambre d'hôpital où il a découvert le corps inanimé d'une belle jeune femme, qui l'a hanté pendant toute sa carrière.

 

«Le toucher et la mort sont les deux grands thèmes de son cinéma», rappelle Mark Cousins, en nous montrant les images sensuelles d'Un été avec Monika, avec Harriet Andersson qui fixe intensément la caméra pendant que le décor se fond dans le noir.

 

Le documentariste, qui s'est déplacé à Stockholm, à Paris, à Rome - mais également en Inde et en Afrique pour d'autres épisodes -, trace des parallèles entre l'humour de Jacques Tati, la «main invisible» de Robert Bresson ou encore le baroque de Federico Fellini. Il a rencontré Claudia Cardinale, muse de 81/2, en grande partie improvisé par le maître italien. «Avec Federico, tout le monde riait, chantait, parlait au téléphone, dit-elle. Parce que pour lui, le bruit était une source d'inspiration.»

 

Mark Cousins a aussi discuté de Pier Paolo Pasolini avec son ancien assistant, Bernardo Bertolucci. «Dans ses romans, ses poèmes, ses films, il avait un sens très fort du sacré», dit le cinéaste du Dernier tango à Paris de l'auteur d'Accattone. Pasolini qui, avant de tourner L'évangile selon saint Matthieu, était allé revoir La passion de Jeanne d'Arc de Carl Dreyer avec son directeur photo. Pour l'inspiration, toujours.

 

The Story of Film ne peut contourner les cinéastes de la Nouvelle Vague française, qui ont «lancé une bombe» aux pieds du cinéma traditionnel, à la fin des années 50. Mark Cousins, qui se fait un devoir de rappeler à la mémoire le travail des pionnières du septième art, s'attarde plus particulièrement au cinéma d'Agnès Varda, ainsi qu'à celui de François Truffaut et de Jean-Luc Godard, qu'il qualifie avec admiration de «plus grand terroriste du cinéma».

 

S'il en dissèque admirablement l'histoire, le documentariste se garde toutefois de poser un regard nostalgique sur le cinéma. «Le langage cinématographique change, et la Nouvelle Vague en est l'exemple le plus évident, dit le metteur en scène australien Baz Luhrmann. Mais ce que le cinéma nous dit ne change pas. «Je t'aime» veut toujours dire la même chose.»