Rachel Mwanza était une enfant de la rue. Abandonnée par son père, puis par sa mère exilée en Angola, la jeune Congolaise a trouvé refuge chez sa grand-mère, avec ses six frères et sœurs. Rapidement, elle a dû subvenir à ses  besoins. Elle n’avait que 9 ans.



Errant dans les rues de Kinshasa, Rachel a été recueillie par un caïd, pour qui elle travaillait en échange d’un refuge. C’est à ce moment qu’elle a été remarquée par les producteurs belges d’un documentaire, grâce auquel le Québécois Kim Nguyen, en repérage au Congo pour son film Rebelle, a entendu parler d’elle.

Rachel, qui n’avait aucune expérience de comédienne, a été sélectionnée en audition parmi 1000 candidates. Elle compensait son inexpérience par un fort caractère, elle qui vivait entre la rue et la maison de sa grand-mère. Kim Nguyen dit qu’il a rarement vu une actrice aussi instinctive. Il n’est pas le seul. Elle est bouleversante de vérité dans Rebelle.

L’adolescente de 15 ans est devenue, en février, la première Africaine à recevoir un prix d’interprétation au prestigieux Festival du film de Berlin. L’Ours d’argent de la Berlinale lui a été remis par l’acteur hollywoodien Jake Gyllenhaal, dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Ni du reste celle de l’actrice qui est venue la féliciter dans la foulée, une dénommée Charlotte Gainsbourg.

Elle ne pouvait pas y croire. « Les gens de Kinshasa non plus ne pouvaient pas croire que j’avais gagné un prix », a-t-elle confié, hier soir, à l’occasion d’une conférence de presse organisée en marge de la première montréalaise de Rebelle, au Cinéma Impérial.

Rachel Mwanza vient d’un univers loin du strass et des paillettes des soirées de gala du cinéma. C’était évident hier. Cette adolescente à la fois expressive et timide, souriante et réservée, est très peu loquace, même dans sa langue maternelle, le lingala.

« Je ne sais pas parler français, a-t-elle dit dans la langue des frères Lumière. Mais je suis très, très contente d’être au Canada. » Il est prévu qu’elle séjourne à Montréal environ deux mois et demi et qu’elle y suive des cours de français dans un YMCA.

Elle était analphabète. Depuis qu’elle a tourné Rebelle, elle apprend à lire et à écrire le français dans une école de Kinshasa et vit en pension, grâce au concours de l’équipe de production du film. Ce n’est d’ailleurs pas tant le prestigieux prix reçu à Berlin qui a changé sa vie, dit-elle, mais sa rencontre avec Kim Nguyen, qu’elle considère un peu comme son « oncle ». « Ma vie a changé, dit-elle. Je vais à l’école, je mange bien, je dors mieux. »

Elle n’a pas pour autant reçu d’autres propositions de rôles depuis son sacre berlinois, même si cela ne devrait tarder, selon le producteur de Rebelle, Pierre Even. « Les membres du jury de la Berlinale ont tous été touchés et renversés par son talent de comédienne », dit-il. « Je l’encourage à perfectionner son français et son alphabétisation, ajoute Kim Nguyen, de manière pragmatique. Et à apprendre un autre métier en parallèle, sans abandonner le jeu. »

Survivre



Dans Rebelle, un beau film onirique et lumineux, très dur aussi, qui prend l’affiche demain au Québec, Rachel Mwanza incarne Komona, une adolescente de 12 ans arrachée à l’insouciance, forcée de tuer ses propres parents et de devenir enfant soldat. Une esclave de la guerre, embrigadée par les rebelles, battue, violée, affamée, droguée, qui doit tout accepter afin de survivre.

Considérée comme une sorcière de guerre, liée à un jeune albinos enfant soldat comme elle, elle raconte son histoire à son enfant à naître, alors qu’elle n’a que 14 ans. L’actrice s’est-elle inspirée dans sa propre expérience afin d’interpréter son personnage ? « Pas vraiment », dit-elle de manière laconique. « Je ne suis pas d’accord ! » l’interrompt Kim Nguyen, qui raconte s’être engueulé avec la jeune actrice à quelques reprises, pour qu’elle puise dans l’intensité de sa propre vie.

« Les enfants de la rue ont ça en eux, dit-il. Cette énergie brûle en eux quand ils vont dans ces zones-là. Je crois que ça leur permet d’exorciser des choses, même si c’est extrêmement exigeant. »

Rebelle, qui a reçu une mention du Jury œcuménique à la Berlinale, n’a pas encore été projeté au Congo, mais son producteur Pierre Even souhaite que le Sommet de la francophonie à Kinshasa soit l’occasion de faire découvrir aux Congolais cette fable sur la cruauté sourde de la guerre civile et le déni de l’enfance.

Filmé caméra à l’épaule, en mode guérilla, avec un montage nerveux, Rebelle est une œuvre poétique dans son horreur, qui s’inspire entre autres des légendes et des superstitions africaines.

Le quatrième long métrage de Kim Nguyen (Le marais, Truffe, La cité) sera présenté en compétition ce week-end au Tribeca Film Festival de New York. Rachel Mwanza, qui n’a pas de visa pour les États-Unis, n’accompagnera pas le reste de l’équipe. « Il a été difficile d’obtenir un visa canadien pour Rachel, qu’elle a reçu seulement 48 heures avant son départ de Kinshasa, explique le producteur Pierre Even. Alors nous n’avons pas fait de démarches pour les États-Unis en sachant que ce serait trop compliqué. Notre objectif était qu’elle soit parmi nous pour la première québécoise et nous en sommes très heureux. »

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