Voiture électrique : ils sont devenus fous ! est le premier livre de François-Xavier Pietri. Journaliste et auteur, celui-ci s’inquiète de la montée en puissance des constructeurs chinois et s’interroge sur la mobilité individuelle de la classe moyenne. Il critique la décision de la Commission européenne d’interdire la vente de véhicules neufs émetteurs de CO2 d’ici à 2035. La Presse s’est entretenue avec lui.

Q : Plusieurs constructeurs disent avancer à marche forcée dans le pari du tout-électrique, mais ne doivent-ils pas s’en prendre à eux-mêmes, notamment avec le scandale des moteurs diesel truqués ?

R : Le « dieselgate » a réduit à néant le lobbyisme des constructeurs automobiles et tout particulièrement celui du groupe Volkswagen qui, disons-le tout net, a triché. Mais cette obligation de basculer dans le tout-électrique représente, dans ce contexte, en quelque sorte une bouée de sauvetage pour de nombreux constructeurs qui peuvent ainsi se racheter une conduite.

PHOTO HANNAH ASSOULINE, FOURNIE PAR FRANÇOIS-XAVIER PIETRI

L’auteur François-Xavier Pietri

Q : Les marques automobiles se lamentent du rythme effréné de la mutation imposée sous la pression des normes, mais simultanément, elles chantent les louanges de leurs nouveautés réconciliées avec l’environnement. Comment séparer le vrai du faux ?

R : Les constructeurs cherchent à démontrer qu’ils font de réels efforts, et c’est très bien. Mais il ne faut pas oublier que le virage électrique leur convient aussi. Il permet à ces sociétés de réduire leurs effectifs dans la mesure où un véhicule électrique est, à certains égards, plus facile à assembler. Le véhicule électrique permet également d’augmenter les bénéfices, car celui-ci est vendu beaucoup plus cher.

Q : Au Mondial de l’auto qui se déroulait il y a quelques jours à Paris, la présence d’un aussi grand nombre de marques chinoises prêtes à électrifier le marché européen a visiblement ébranlé les politiques et l’industrie. Mais pas les consommateurs qui saisiront sans doute une occasion favorable pour s’offrir un véhicule électrique à meilleur prix, non ?

R : La seule chose que je suis en mesure de rapporter pour en avoir été témoin est que les marques chinoises ont la curiosité des visiteurs. On peut aisément comprendre pourquoi. Ces véhicules électriques se comparent à plusieurs égards aux véhicules européens comparables, s’affichent à des tarifs plus avantageux et sont assortis d’une garantie de sept ou huit ans. Il reste sans doute encore quelques écueils à surmonter, comme la distribution, mais leur arrivée représente une sérieuse menace pour les constructeurs européens à tout le moins. En France, les véhicules que les Français achètent ne sont plus produits ici. Sur les dix modèles de voitures les plus vendus l’an dernier, neuf étaient bien de marque française, mais deux seulement sont construits sur notre territoire.

Q : Dans ce contexte, pensez-vous que l’Europe devrait, à l’image de l’administration américaine, invoquer la défense de sa souveraineté pour soutenir l’industrie automobile locale ? Et réserver alors son aide financière aux consommateurs qui achètent des véhicules construits en Europe ?

R : Pour l’heure, rien ne laisse croire, du côté français à tout le moins, que cette option sera retenue à court terme, à écouter le président Macron.

Q : Vous évoquez dans votre ouvrage que la voiture électrique n’est pas la seule et unique façon de réduire l’empreinte carbone de la voiture. Les autorités ne semblent pas partager ce point de vue.

R : La décision de basculer dans le tout-électrique est binaire. Voilà ce qui est dommage. On ne tient pas compte des avancées actuelles et futures des constructeurs automobiles. Tenez par exemple le bilan de la qualité de l’air déposé en 2019 par le ministère de la Transition écologique. On y apprend que la qualité de l’air s’est globalement améliorée sur la période 2000-2019 en France. Les émissions de particules fines, celles d’un diamètre inférieur à 10 microns (PM10), ont chuté de 51 %, voire de 61 % pour les particules inférieures à 2,5 microns (PM2,5), les plus dangereuses pour la santé. Parallèlement, les émissions de NOx, les oxydes d’azote, largement issues des combustions émises par les transports, ont chuté de 56 % en moins de 20 ans. Il y a là des progrès.

Q : Les enjeux écologiques et sanitaires plaident sans aucune ambiguïté en faveur d’une éradication des véhicules équipés d’un moteur thermique. Mais les enjeux économiques pèsent. Du côté des consommateurs, le véhicule électrique coûte aujourd’hui beaucoup plus cher et beaucoup de ménages n’y ont plus accès. Est-ce la fin d’une époque ? Devons-nous dire adieu à la mobilité individuelle ?

R : Voilà la question que tout le monde élude. Personne ne semble tenir compte de la capacité de payer des ménages. Pour s’acheter une vertu, un véhicule électrique, il faut aujourd’hui payer très cher. Un déchirement sociétal se prépare et visiblement cette perspective n’a pas suffisamment été étudiée et réfléchie.

Voiture électrique : ils sont devenus fous !

Voiture électrique : ils sont devenus fous !

Éditions de l’Observatoire

203 pages