L’invasion de l’Ukraine par la Russie a ébranlé le marché mondial du nickel au moment même où ce métal gagne en importance parce qu’il entre dans la composition des batteries de voitures électriques. Ce qui fait craindre que les prix élevés ne ralentissent la transition vers l’abandon des combustibles fossiles.

Le prix du nickel a doublé en un jour la semaine dernière, ce qui a incité le London Metal Exchange à geler les échanges et à paralyser le marché mondial du nickel. Après deux ans de chaos dans la chaîne d’approvisionnement causé par la pandémie, cet épisode a fourni une preuve supplémentaire de la façon dont les tensions géopolitiques détruisent les relations commerciales que les entreprises considéraient autrefois comme acquises. Elles doivent ainsi repenser l’origine des pièces et des métaux qu’elles utilisent pour construire des voitures et fabriquer de nombreux autres produits.

Les constructeurs automobiles et d’autres entreprises qui ont besoin de nickel, ainsi que d’autres matières premières pour les batteries, comme le lithium ou le cobalt, ont commencé à chercher des moyens de se protéger contre les chocs futurs.

Volkswagen, par exemple, a commencé à explorer l’achat de nickel directement auprès des sociétés minières, a déclaré Markus Duesmann, PDG de la filiale Audi du constructeur automobile, dans une entrevue jeudi. « Les matières premières vont être un problème pour les années à venir », a-t-il déclaré.

La perspective de tensions géopolitiques prolongées est susceptible d’accélérer les tentatives des États-Unis et de l’Europe de développer des approvisionnements nationaux en matières premières qui proviennent souvent de Russie. Il existe des gisements de nickel, par exemple, au Canada, au Groenland et même au Minnesota.

« Le nickel, le cobalt, le platine, le palladium, et même le cuivre : nous avons déjà réalisé que nous avions besoin de ces métaux pour la transition verte, pour atténuer le changement climatique », a déclaré Bo Stensgaard, PDG de Bluejay Mining, qui travaille à l’extraction du nickel sur un site dans l’ouest du Groenland dans le cadre d’une entreprise avec KoBold Metals, dont les bailleurs de fonds comprennent Jeff Bezos et Bill Gates. « Quand on voit les développements géopolitiques avec l’Ukraine et la Russie, il est encore plus évident qu’il y a des risques d’approvisionnement avec ces métaux. »

Les consommateurs paieront

Mais la mise en place de nouvelles opérations minières risque de prendre des années, voire des décennies, en raison du temps nécessaire pour acquérir des permis et des financements. Dans l’intervalle, les entreprises qui utilisent du nickel – un groupe qui comprend également les aciéries – devront faire face à des prix plus élevés, qui finiront par être ressentis par les consommateurs.

Une batterie de voiture électrique moyenne contient environ 80 lb de nickel. Selon les estimations de la société de négoce Cantor Fitzgerald, la flambée des prix en mars ferait plus que doubler le coût de ce nickel pour atteindre 1750 $US par voiture.

La Russie ne représente qu’une proportion relativement faible de la production mondiale de nickel, et la majorité de celui-ci est utilisée pour fabriquer de l’acier inoxydable, et non des batteries de voiture. Mais la Russie joue un rôle de premier plan sur les marchés du nickel.

Norilsk Nickel, également connu sous le nom de Nornickel, est le plus grand producteur de nickel au monde, avec de vastes exploitations en Sibérie. Son propriétaire, Vladimir Potanin, est l’une des personnes les plus riches de Russie. Norilsk fait partie d’un nombre limité d’entreprises autorisées à vendre une forme spécialisée de nickel sur le London Metal Exchange, qui gère toutes les transactions de nickel.

Contrairement à d’autres oligarques, M. Potanin n’a pas été la cible de sanctions, et les États-Unis et l’Europe n’ont pas essayé de bloquer les exportations de nickel, une mesure qui nuirait à leurs économies ainsi qu’à celle de la Russie. La perspective que le nickel russe puisse être retiré des marchés mondiaux a suffi à provoquer la panique.

Les analystes s’attendent à ce que les prix baissent, mais restent beaucoup plus élevés qu’il y a un an. « La tendance serait de redescendre à un niveau proche de celui où nous nous sommes arrêtés la dernière fois », autour de 25 000 $US la tonne métrique par rapport au pic de 100 000 $US la tonne, a déclaré Adrian Gardner, analyste principal spécialisé dans le nickel chez Wood Mackenzie, un cabinet de recherche.

Un métal recherché

Le nickel était en plein essor avant même l’invasion russe, les fonds spéculatifs et les autres investisseurs pariant sur la hausse de la demande de véhicules électriques. Le prix a dépassé les 20 000 $US la tonne cette année, après avoir oscillé entre 10 000 $US et 15 000 $US la tonne pendant la majeure partie des cinq dernières années. Dans le même intervalle, la production de nickel a diminué en raison de la pandémie.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le prix a dépassé les 30 000 $US en un peu plus d’une semaine. Puis vint le 8 mars. La nouvelle s’est répandue dans les bureaux de courtage et les fonds spéculatifs de Londres qu’une société, qui s’est avérée être le Tsingshan Holding Group de Chine, avait fait un énorme pari sur la baisse du prix du nickel. Lorsque le prix a augmenté, Tsingshan devait des milliards de dollars, une situation connue à Wall Street sous le nom de short squeeze.

Le prix a grimpé jusqu’à un peu plus de 100 000 $US la tonne, menaçant l’existence de nombreuses autres sociétés qui avaient fait un mauvais pari et incitant la Bourse des métaux de Londres à interrompre les transactions.

La Bourse a essayé de relancer les échanges de nickel deux fois cette semaine en fixant de nouvelles limites de prix, mais des chutes soudaines ont provoqué un nouvel arrêt des échanges. « Le marché est en panne », a déclaré Keith Wildie, responsable des opérations de la société Romco, située à Londres.

Le conflit en Ukraine a souligné l’urgence de s’éloigner des combustibles fossiles, a déclaré M. Duesmann.

Le pétrole russe joue un rôle beaucoup plus important dans l’économie mondiale que le nickel russe.

« Ce serait faire preuve d’une trop grande myopie que de dire que l’électromobilité ne fonctionne pas », a-t-il ajouté.

Au-delà de la perturbation immédiate des approvisionnements, les constructeurs automobiles s’inquiètent d’un recul des marchés ouverts qui ont été si bons pour les affaires. Katrin Kamin, experte en commerce à l’Institut Kiel pour l’économie mondiale en Allemagne, a noté que le commerce mondial avait remarquablement bien résisté à la pandémie.

« Peut-être devrions-nous moins parler de crise de la mondialisation et plus de relations internationales », a déclaré Mme Kamin dans un courriel.

Mais le conflit en Ukraine, a-t-elle ajouté, « est un coup dur pour le commerce ».

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