C'est arrivé il y a trois ans, et le vendeur de voitures Dominic Desrosiers se souvient comme si c'était hier du jour où il a perdu une vente à cause du son d'un claquement de portière. «Ça m'est arrivé une seule fois en 20 ans de vente automobile», dit-il. Ce jour-là, en 2011, un couple avait fixé son attention sur une Kia Rondo 2008 gris argenté, raconte le patron des ventes de voitures d'occasion chez Gravel Autos GM, à L'Île-des-Soeurs. Monsieur et madame se sont assis dans l'auto; ils ont regardé, humé, touché. «C'est bien parti», a pensé M. Desrosiers.

Puis, monsieur a fermé la portière. Et c'est à cet instant précis que la vente a dérapé.

«La porte a fait clang!», dit M. Desrosiers. «Un bruit clair de tôle sur de la tôle, avec une sorte d'écho en dedans. Les clients étaient assis dans le véhicule en se regardant. Le monsieur a dit à sa femme: «As-tu entendu la barlingue?» Il a dit "barlingue"! C'est pire que minoune», raconte M. Desrosiers. «Pourtant, je savais que la voiture était très correcte, mais pour le son de la porte, il avait raison: c'est le pire claquement de porte que j'ai entendu de ma vie», assure M. Desrosiers. Quant à ses clients, ils sont sortis de l'auto et de la concession, et en les regardant s'éloigner, M. Desrosiers s'est dit qu'il fallait faire quelque chose avec la portière de cette «barlingue».

En fait, l'industrie automobile tout entière a compris depuis longtemps qu'il fallait faire quelque chose avec le son des portières.

«Le son d'une portière qui se ferme est un important critère dans la décision du consommateur, puisque c'est le premier son que les acheteurs entendent avant d'acheter une auto», a écrit l'ingénieur coréen S.K. Lee en février 2013, en préface d'une étude de psycho-acoustique automobile visant à créer une nouvelle unité de mesure qui permettrait de mesurer objectivement la «qualité du son de claquement de porte». Cette étude, soit dit en passant, était faite en collaboration avec Hyundai, l'actionnaire de contrôle de Kia. Les deux constructeurs coréens ont fait des pas de géants dans la qualité au cours des dernières années.

Sur l'internet, on trouve des dizaines d'études portant sur la sonorité des portières et les façons de la rendre plus agréable à l'oreille. Les constructeurs ont compris que le premier son est aussi important que le premier coup d'oeil dans la séduction de l'acheteur d'une auto. Ils consacrent d'importants budgets pour rendre ce son agréable à l'oreille.

Les vendeurs le savaient

Les vendeurs savaient ça bien avant les ingénieurs et les acousticiens. «On dit qu'on se fait une idée d'une personne durant les 15 premières secondes qu'on passe en sa présence, c'est la même chose avec une auto, dit M. Desrosiers. Le premier contact autre que visuel, c'est la main sur la porte. Le premier contact sonore, c'est la porte qui claque entendue de l'intérieur, et il y a un autre contact sonore important, quand le client est sorti de l'auto et qu'il entend de l'extérieur le claquement de la porte qu'il vient de fermer.»

La théorie est simple: partout dans le monde, les gens associent un son de porte mat, grave et sec à la qualité. À l'opposé, le claquement de porte clair, métallique et qui réverbère longtemps est associé à ce qui est bon marché et de qualité médiocre. Bref, quand une porte claque, les sons de basse fréquence sont plaisants et les sons de haute fréquence, déplaisants. Pourquoi? Certaines raisons sont propres à la physiologie de l'oreille humaine. D'autres sont culturelles. Ainsi, si les massives portes des grosses voitures de riches ont un son feutré et grave, c'est ce son-là qui est jugé désirable, pas le son «cacanne» de la Kia Rondo 2008 que M. Desrosiers tentait de vendre en 2011.

Par conséquent, les constructeurs automobiles ont dépensé des centaines de millions pour décortiquer le son des portières fautives et faire en sorte que celles des compactes, comme la Rondo 2014, et des intermédiaires sonnent de plus en plus comme les portes de Mercedes-Benz et de Cadillac.

Par exemple, le sous-traitant en insonorisation belge LMS, qui a un bureau au Michigan, a travaillé sur une portière de voiture intermédiaire dont le son était jugé trop métallique et trop long. «Le claquement de porte durait seulement 1,8 seconde, mais on a identifié 15 événements mécaniques distincts dans ce bruit. Tous ces événements étaient liés au jeu des différentes pièces de la serrure, dans la porte, ou aux points d'impact sur les scellés en caoutchouc.» En séparant les sons des 15 événements mécaniques, les ingénieurs de LMS ont trouvé le principal coupable: quand la porte fermait, la came de dégagement de la serrure allait rebondir sur le boîtier en métal de la serrure, générant un son de haute fréquence très fort et très désagréable à l'oreille humaine. La solution, explique LMS, a été l'ajout de trois petites pièces de caoutchouc pour amortir l'impact. Beau, bon, pas cher et plus silencieux.

Les exemples de ce genre abondent dans la littérature technique accessible sur l'internet.

Et est-ce que les petites voitures ont des claquements de porte aussi agréables que ceux des grosses Mercedes-Benz et des Rolls-Royce?

Les claquements analysés

Non, mais il y a manifestement du progrès. Pour constater les résultats, lors du dernier Salon international de l'auto de Montréal, La Presse a demandé l'aide de Polytechnique Montréal pour aller mesurer et analyser les claquements de portières d'une trentaine de voitures, avec un échantillonnage égal de grosses berlines haut de gamme, d'intermédiaires de milieu de gamme et de compactes économiques. Les mesures ont été faites avec un sonomètre portatif Larson Davis 831 sur un trépied, tôt le matin, avant l'arrivée du public, mais quand même avec divers bruits de fond. Elles n'ont pas de valeur scientifique comparative, mais un sonomètre est quand même plusieurs centaines de fois plus sensible que l'oreille humaine; il permet de mesurer les décibels et il permet de décortiquer le spectre sonore de chaque claquement pour montrer la prévalence des sons graves ou clairs, selon les portes.

«Il faut dire que ça se ressemble beaucoup, a dit l'ingénieure et professeure Annie Ross, qui a analysé nos données au Laboratoire d'analyse vibratoire et acoustique (LAVA) de Polytechnique. D'une voiture à l'autre, peu importe la catégorie ou le prix, les différences [mesurables avec le sonomètre] sont perceptibles, mais elles ne sont pas immenses.»

Ça, c'est la partie purement acoustique. Mais sur le plan des perceptions et de la subjectivité humaine, on en revient au même principe que tout à l'heure. Même une petite différence dans les basses fréquences ou dans les hautes fréquences est très perceptible.

Chez Rolls-Royce et chez Lexus, on n'est pas resté les bras croisés devant l'amélioration chez les constructeurs généralistes. Dans les modèles exposés au SIAM, plusieurs Rolls-Royce et une Lexus avaient des portes munies d'un système de levier électro-hydraulique qui prend le relai de l'impulsion donnée par la main humaine sur la porte. «Tout d'abord, le levier commence par doucement amortir l'arrivée de la porte que je viens de pousser», a expliqué Frank Peronace, directeur des ventes de Rolls-Royce Montréal, en faisant la démonstration avec la porte du conducteur d'une RR Wraith. «Puis, à la fin, imperceptiblement, il entraîne la porte à une vitesse décroissante», a-t-il ajouté, tandis que la porte se fermait toute seule, dans un son feutré extrêmement jouissif à l'oreille.

Avant de terminer, retournons à notre vendeur d'autos d'occasion, Dominic Desrosiers, et aux portes de sa Kia Rondo 2008. Qu'a-t-il fait pour que les deux portes n'aient plus un son de «barlingue» ? «J'ai fait démonter les portes et on a regardé comment c'était fait. Il n'y avait qu'une feuille de papier comme insonorisant, ce qui revient à dire rien du tout. J'ai fait shooter l'intérieur des portes avec du Gravel Guard (un enduit caoutchouteux qui sert à protéger le dessous des voitures roulant souvent sur des routes de gravier). Une fois sec, ç'a fait la job. Le son des portes était plus sourd. À part l'ancien son des portes, cette auto-là était très correcte. Après ça, on l'a vendue très vite.»

Photo Martin Leblanc, La Presse

La Presse a obtenu la collaboration du Laboratoire d'analyse vibratoire et acoustique de Polytechnique pour mesurer et analyser le son des claquements de portières des voitures au dernier Salon de l'auto de Montréal. Arnaud Dubourg, étudiant à la maîtrise, installe le sonomètre avant de prendre la mesure sonore d'une portière de Corvette Stingray décapotable.