Votre voiture risque-t-elle de porter atteinte à votre vie privée ?

La question, a priori absurde, prend tout son sens alors que la production de véhicules dotés de systèmes sophistiqués de localisation et de communication devient la norme dans l'industrie. L'offre de services à distance pour la navigation ou l'assistance d'urgence devient une source potentielle de dérives.

Un haut cadre du géant automobile Ford a créé une vive émotion la semaine dernière, au cours d'une conférence à Las Vegas, en se félicitant de l'importance des données colligées relativement à la conduite routière de ses clients.

« Nous savons qui viole la loi, nous savons quand ça arrive. Nous avons un GPS [système de positionnement satellitaire] dans votre voiture alors nous savons ce que vous faites », s'est félicité le vice-président au marketing de l'entreprise, Jim Farley.

L'administrateur, qui avait pris soin de préciser que les données ne sont partagées avec personne à l'extérieur de l'entreprise, a rétracté ses propos par la suite, sans convaincre personne.

Ce type de collecte préoccupe le sénateur démocrate américain Al Franken, qui a demandé l'année dernière au Government Accountability Office (GAO) de se pencher sur le développement de systèmes intégrés de communication et de localisation pour automobiles et leur possible impact sur la vie privée.

Dans son rapport paru en décembre, le GAO note que nombre d'ONG s'inquiètent de la possibilité que les données recueillies soient volées ou utilisées à des fins illicites, par exemple pour surveiller les allées et venues des automobilistes et tirer des conclusions « sur leur pratique religieuse et leurs activités politiques » en surveillant les établissements fréquentés.

Les enquêteurs de l'organisation ont rencontré les représentants de 10 entreprises d'envergure qui utilisent la transmission en temps réel de données de localisation pour offrir des services à leurs clients, incluant Chrysler, Ford, General Motors, Garmin et Google.

La plupart des entreprises disent solliciter le consentement des usagers avant de recueillir des données. Aucune ne leur offrait cependant la possibilité de les détruire sur demande. Une situation d'autant plus préoccupante que la plupart des entreprises disent les partager avec de tierces parties, par exemple pour alimenter des firmes qui offrent des informations sur le trafic routier. Les forces policières peuvent aussi demander à les obtenir par voie judiciaire.

Les risques posés par la captation de données de localisation pour la vie privée sont évoqués depuis longtemps par l'Electronic Frontier Foundation (EFF).

Confidentialité compromise

L'organisation américaine relevait, dans un avis exhaustif paru il y a quelques années, que la « confidentialité » des déplacements des individus est de plus en plus compromise par la multiplication de systèmes électroniques stockant des données à ce sujet.

La menace est d'autant plus grande qu'il est virtuellement impossible pour les consommateurs de prendre des mesures appropriées pour se protéger. « Il est trop difficile de savoir qui enregistre quoi, trop difficile d'identifier les options disponibles pour éviter d'être enregistré et trop difficile de faire des recherches à ce sujet alors que vous interagissez avec de nouvelles technologies », prévenait l'EFF.

Ces mises en garde ont pris une acuité particulière l'automne dernier avec la révélation de l'existence d'un programme permettant à la National Security Agency (NSA) d'obtenir systématiquement les métadonnées - incluant les données de localisation - de millions de clients de la firme téléphonique Verizon sans leur consentement.

Deux compagnies d'assurances québécoises, Desjardins et Industrielle Alliance, proposent de moduler les primes des automobilistes qui acceptent que leur conduite soit surveillée à distance par GPS interposé. Baseline Telematics, qui collige et analyse les données pour Industrielle Alliance, dit prendre des mesures exhaustives pour éviter toute utilisation inopinée des informations obtenues. Les données sont liées à un numéro d'identification que seul l'assureur peut associer nommément à un client assuré, explique en entrevue le président de l'entreprise, Paul- André Savoie. Elles sont par ailleurs stockées au pays dans des serveurs sécurisés qui sont régulièrement mis à l'épreuve pour empêcher toute intrusion électronique, dit-il. L'information peut être conservée jusqu'à cinq ans, mais les clients conservent le droit de faire détruire les données les concernant lorsque cesse leur contrat avec l'assureur.