«Je viens de toucher un héritage appréciable et je cherche une voiture qui refléterait mon nouveau statut d'homme à l'aise. J'hésite entre une Rolls et une Bentley. Sachant que la qualité et le luxe ont un prix, je suis en quête de la plus chère de toutes, surtout pas de sous-modèles comme la Ghost ou la Flying Spur qui, pour moi, ne concordent pas avec l'image de leur constructeur respectif. Votre éclairage me serait d'un précieux secours.»

Bien que fictive, cette missive sert de mise en scène à un match comparatif qui ne saurait mieux s'inscrire dans notre série sur les voitures d'exception. Malgré les suppliques de notre lecteur imaginaire, nous nous sommes toutefois permis de choisir la Ghost de Rolls-Royce pour ce face à face. Celle-ci correspond davantage, selon nous, à la nouvelle image de la marque, la Phantom appartenant à la vieille école. D'un design plus récent, sa vraie concurrente au sommet de la pyramide est assurément la Mulsanne de dernière génération, apparue l'an dernier comme le modèle haut de gamme de Bentley.

>>>  Quelques photos de la Rolls et la Bentley

Des monuments

Voyons maintenant le pedigree de chacune de ces voitures d'exception dont les propriétaires occupent la plupart du temps la banquette arrière, laissant à un chauffeur le soin de piloter ces énormes palaces sur roues.

C'est presque une nécessité, car, croyez-moi, personne ne s'amuse au volant de ces deux monuments de la bourgeoisie. Ils occupent un tel espace que le chauffeur doit être constamment en éveil pour ne pas se frotter aux voitures qui se trouvent sur son chemin. Combien d'espace? Plus de 575 cm en longueur, ce qui est largement supérieur à une Mercedes de Classe S, qui est loin d'être une mini. À la pesée, nos deux Germano-Britanniques font aussi partie de la catégorie des poids lourds, avec une masse de près de 3 tonnes, soit 500 bons kilos de plus que notre véhicule étalon, la Classe S de Mercedes. C'est également le poids de deux Mini Cooper, si cela peut vous éclairer davantage.

Au volant, ces dimensions éléphantesques ne riment en rien avec maniabilité, et contrairement à la croyance populaire, le poids n'est pas salutaire à la tenue de route. Mais, au jeu des comparaisons, la Bentley paraît plus désavantagée, piquant du nez au freinage avec une suspension flasque à l'origine d'un roulis considérable. Une molette sur la console permet toutefois de raffermir l'amortissement en optant pour l'un ou l'autre des trois niveaux de réglage proposés. Cette observation paraît cependant bien superflue dans une limousine qui n'est en aucun cas une voiture Grand Tourisme destinée à la conduite sportive. Sa qualité première est le confort et, sous cet aspect, on aura l'impression que toutes les artères de Montréal auront été entièrement asphaltées en neuf tellement l'état des routes est quasi indétectable par la suspension à air. Ce qui est sûr, par contre, c'est que la Mulsanne est moins intimidante à conduire que son pendant de chez RR qui, avec 42 cm de plus en longueur et quelques kilos d'embonpoint, est plus perturbée par son format XXL. Et cela, en dépit d'une suspension qui s'adapte d'elle-même aux conditions de la route menant au château.

Au chapitre du comportement routier, je dirais que nos deux protagonistes font match nul et que leurs performances doivent être exploitées en ligne droite plutôt que sur des chemins truffés de virages.

Fini les secrets

On sera sans doute surpris d'apprendre que nos deux limousines ne sont plus les cachottières d'autrefois alors que leur puissance était un véritable secret d'État. Certains se souviendront peut-être que Rolls et Bentley ne dévoilaient ni la cylindrée ni le nombre de chevaux-vapeur de leurs créations. Les brochures de chacune de ces marques faisaient simplement état d'une «puissance satisfaisante» à côté de la mention du moteur. Les choses ont changé radicalement de nos jours, et on peut même dire que Rolls-Royce et Bentley se livrent une lutte acharnée afin d'offrir le moteur le plus puissant.

Celui de la Bentley Mulsanne est un V8 de 6,75 litres à double turbo développant 505 chevaux à 4500 tours/minute, démontrant l'importance d'un régime peu élevé dans des voitures reconnues pour le faible niveau sonore de leur habitacle. C'est toutefois le couple de ce V8 qui est inimaginable avec 752 lb-pi à 1800 tours seulement. Il fait aussi appel à la technologie moderne avec sa cylindrée variable et son système «arrêt départ», permettant ainsi à Bentley de tempérer sa consommation démentielle variant de 16 à 24 litres aux 100 km.

Avec une transmission automatique à 8 rapports, Bentley renoue avec son passé en course automobile en offrant des palettes de part et d'autre du volant pour passer manuellement les rapports. Bref, en un clin d'oeil ou 5,4 secondes, cette masse secoue son inertie et se pointe à 100 km/h sur un indicateur de vitesse dont les aiguilles inversées se déplacent de droite à gauche, contrairement à la pratique courante, mais conformément à la tradition de la marque. À l'accélération, la Mulsanne ferait sans doute mieux si elle n'était pas handicapée par un temps de réponse du turbo qui cause un délai important quand on enfonce l'accélérateur. Un autre irritant provient de la pédale de frein, que sa surface métallisée rend glissante.

Rolls-Royce se dit capable de faire mieux avec la Ghost, grignotant cinq dixièmes de seconde à sa soeur ennemie au fil d'arrivée. De telles performances sont dues à un V12 turbo de 6,6 litres produisant 563 chevaux avec un couple maximal à compter de 1500 tr/min. Il est, lui aussi, attelé à une transmission à 8 rapports.

Du cousu main

Un parangon de douceur et de quiétude, cette Rolls est elle aussi victime de cet excès de grandeur qui exige une adaptation de la part du conducteur, à moins que celui-ci ait l'habitude des grosses pointures. Là encore, le moteur marque un temps mort avant de vous caler au dossier du siège.

La Ghost a aussi ses petits caprices avec, notamment, des freins qui semblent coller après une application et des rétroviseurs montés beaucoup trop haut. Ses portes arrière s'ouvrant à contre-sens (appelées portes-suicide) sont déconcertantes au début, mais facilitent l'accès du véhicule aux souverains de ce monde. En fin de compte, nos deux adversaires ont chacune leurs petits embêtements, tout en atteignant un souci du détail apparent dès que l'on monte à bord. On y éprouve alors une sensation de richesse inouïe avec ce mélange de bois, de cuir, de chrome qui est une pure splendeur. On comprend alors que le peaufinage d'un tel intérieur justifie les 61 jours que chaque Bentley séjourne sur une chaîne de montage.

Le volant, à lui seul, est soumis à 15 heures de polissage, comme quoi rien n'est laissé au hasard. Cela démontre également que la Mulsanne et la Ghost sont loin de la voiture de série et qu'une bonne part de travail manuel entre dans la construction de ces deux modèles d'exception.

Au moment de faire les comptes, il est bien difficile de départager la Bentley de la Rolls-Royce. Les deux suivent la même trace et sont en quête des mêmes acheteurs. On peut, sans exagérer, affirmer que la Ghost et la Mulsanne constituent l'apothéose de ce que doit être une limousine: imposante, confortable et d'un luxe irréprochable. Demandez à votre chauffeur laquelle choisir.

Nos remerciements à Rolls-Royce Montréal et à Moteurs Décarie pour le prêt des deux voitures.