Malgré son faste, son auréole de richesse, son ambiance dolce vita et son cachet international, la Formule, 1 qui est en ce moment au coeur de l'actualité canadienne, est une manifestation qui prend quelquefois une tournure dramatique, conséquence logique d'un sport dangereux où les accidents mortels sont inévitables. Même notre propre Grand Prix n'a pas échappé à cette évidence quand, en 1982, le pilote italien Ricardo Paletti a perdu la vie avant même d'avoir franchi la ligne de départ. Il avait embouti la Ferrari de Didier Pironi, immobilisée sur sa position de départ à la suite d'un ennui mécanique.

Même s'ils sont de moins en moins fréquents, ces accidents ont toujours suscité le même questionnement chez le grand public: «quelle est l'utilité de ce sport de haut risque?» Ou encore, «est-il permis de risquer sa vie pour prouver quoi au juste?»

Aux yeux de plusieurs, la Formule 1 et la course automobile en général font partie des sports à bannir parce qu'ils ne prouvent rien. À cela, les spécialistes vous répondront qu'il s'agit là d'une vision étroite d'un sport qui, selon eux, contribue grandement au développement et à l'amélioration de la voiture de série, celle que vous et moi conduisons chaque jour.



Un lien ténu


En examinant les choses objectivement, il faut admettre que les deux intervenants ont partiellement raison. Il faut toutefois s'entendre sur l'époque où le transfert de technologie de la Formule 1 à l'automobile de monsieur tout le monde est devenu de moins en moins évident. Ce qui était vrai il y a quelques décennies ne l'est plus tout à fait aujourd'hui, à tel point que le phénomène inverse peut se produire comme lorsque les monoplaces de Formule 1 ont adopté les systèmes antipatinage alors qu'ils étaient déjà de mise dans plusieurs voitures de tourisme. Même le controversé système KERS brièvement utilisé l'an dernier par quelques écuries est une extrapolation d'une des composantes des voitures hybrides qui circulent sur nos routes depuis plus de 10 ans. La récupération de l'énergie cinétique produite au freinage sert en effet à recharger, partiellement, les batteries.

Terminé les «blow-outs»

Par ailleurs, personne ne niera que l'on doit la prolifération des freins à disques à la firme britannique Jaguar qui en a d'abord fait l'expérimentation dans la course des 24 Heures du Mans qui sera disputée en fin de semaine prochaine. C'était à une époque où l'automobile avait encore beaucoup à apprendre et que la course automobile était à l'avant-garde de la technologie. En remplaçant les tambours traditionnels par des disques, on bénéficiait d'une plus grande résistance à l'échauffement, de distances d'arrêt plus courtes, ce qui se traduisait par une plus grande sécurité d'utilisation de nos véhicules.

Plus près de nous, l'utilisation de la fibre de carbone et de la céramique a permis d'améliorer de façon spectaculaire l'efficacité du freinage. On pense même à faire marche arrière tellement il est devenu difficile de doubler en Formule 1 en raison des zones de ralentissement de plus en plus courtes.

Dans un autre domaine, on doit aussi reconnaître que les pneumatiques ont connu leur meilleur laboratoire en course. Rappelons-nous simplement comment les éclatements de pneus («blow-outs») étaient fréquents il y a une quarantaine d'années alors qu'une simple crevaison est un incident rarissime de nos jours. Plusieurs firmes de pneumatiques, dont Michelin et Bridgestone, ont sensiblement amélioré la résistance et la durabilité de leurs produits en s'impliquant en course automobile et en Formule 1.

Parmi les quelque 11 000 pièces qui entrent dans la fabrication d'une Formule 1, on peut aussi penser aux transmissions robotisées qui sont non seulement d'une rapidité foudroyante. Un autre élément positif est la multiplication du nombre de rapports qui permet au moteur, dans une automobile ordinaire, de tourner moins vite de manière à consommer moins.



«Light is right» (le poids fait foi de tout)


Que dire des lubrifiants qui ont atteint un tel stade de perfectionnement que la fameuse vidange d'huile autrefois prescrite aux 5000 km est désormais repoussée jusqu'à 20 000 km dans nombre de voitures récentes? Finalement, plusieurs ingénieurs sont d'avis que c'est dans l'allègement des matériaux que la Formule 1 trouve sa rédemption. Utilisée depuis 1981 dans de nombreuses composantes d'une monoplace, la fibre de carbone est à l'origine d'une importante diminution du poids tout en étant d'une rigidité remarquable. Malheureusement très coûteux, ce matériau commence à faire son apparition dans des voitures de sport et de grand luxe. Avec le titane et l'aluminium, il permettra de réduire le poids des voitures qui demeure l'ennemi juré de la consommation d'essence. La marque anglaise Lotus (dont le regretté fondateur Colin Chapman est le père de l'expression «light is right» («la légèreté est la clef») continue de combattre le poids pour le compte de divers constructeurs.

Il n'y a d'ailleurs pas que l'industrie automobile qui est bénéficiaire de la généralisation de la fibre de carbone. Ses succès en Formule 1 ont rejailli dans de nombreux autres sphères allants de nouveaux berceaux ultras résistants et légers pour le transport de bébés nés avant terme jusqu'à certains outillages à l'usage de l'armée. Il y a aussi la télémétrie issue de la Formule 1 qui s'est propagée dans les compétitions de vélo.

Le temps, c'est de l'argent

Au-delà de ces éléments palpables, la rapidité d'exécution, l'intelligence et la rigueur qui permettent de réaliser le changement de 4 pneus et le plein de carburant en 10 secondes lors des arrêts aux puits devraient servir d'exemple au monde des affaires et aux divers paliers de gouvernements qui s'éternisent en palabres, tables de concertation, rencontres stériles, études de marché sans lendemain et autres discussions puériles. L'économie de temps et d'argent en serait absolument ahurissante.

Cela dit, on peut donner raison également aux critiques qui rétorquent qu'il y a longtemps que la Formule 1 et la voiture de série ont emprunté des routes différentes et qu'il n'y a plus aucune espèce de ressemblance entre les deux, ce qui nous ramène à la case départ, voulant que la course soit un sport dangereux et inutile et la Formule 1 une business pas aussi noble que l'on voudrait le laisser croire. On ne peut nier le rôle de la Formule 1 dans certains secteurs de pointe, mais la voiture de série suit loin derrière.

Bref, les héros d'hier qui ont donné leur vie pour que l'automobile progresse et devienne plus sécuritaire sont justement des héros d'une autre époque. 

Photo: AP

Plusieurs firmes de pneumatiques, dont Michelin et Bridgestone, ont sensiblement amélioré la résistance et la durabilité de leurs produits en s'impliquant en Formule 1.