Rares sont les voitures que l'on peut encore entrevoir sur la route et qui méritent de figurer parmi les légendes de l'histoire de l'automobile.

En réalité, je n'en connais qu'une seule et c'est la Ford GT avec laquelle je viens de parcourir environ 1000 kilomètres.

Une victoire née de la vengeance

Fabriquée à quelques milliers d'exemplaires seulement (4038 pour être précis) par le constructeur à l'origine de la grande série, cette Ford est une réplique quasi identique d'un prototype créé exclusivement pour la course automobile au milieu des années 60.

En ce temps-là, selon l'histoire, Henry Ford II avait tenté de se porter acquéreur de la marque Ferrari dont la production se limitait à moins de 4000 voitures par année.

Devant le refus un peu hautain d'Enzo Ferrari, Henry Ford décida d'inverser le fameux dicton «if you can't beat, join them» («si vous ne pouvez les battre, joignez vos à eux») qui devint «if you can't join them, beat them» («si vous ne pouvez vous joindre à eux, battez-les»).

Et naturellement, c'est dans le château fort de Ferrari (les 24 Heures du Mans) que Ford humilia les voitures de Maranello avec une série de Ford GT 40 minutieusement préparées et habilement conduites. Et cela, quatre fois plutôt qu'une entre 1966 à 1969.

Photo Jacques Duval, Collaboration Spéciale

Ford GT

La renaissance d'une icône

Quarante ans plus tard, en 2004, Ford décida de commémorer l'évènement en construisant une petite série d'un modèle capable de se mesurer aux Grandes Routières les plus exotiques de ce monde, depuis les Ferrari jusqu'aux Lamborghini en passant par les Aston Martin, Porsche, Jaguar et autres Mercedes SLR.

 

Ainsi est née la Ford GT dont quelques rares exemplaires sont en circulation au Québec. Difficile d'imaginer en l'admirant que cette silhouette toujours contemporaine et ces lignes spectaculaires qui ne détonent nullement dans le paysage automobile actuel datent de plus de 40 ans.

Si le profil a su résister aux caprices de la mode, ses performances sont également de leur temps, au point de surpasser la grande majorité des voitures modernes qui se hasarderait à en découdre avec elle.

Photo Jacques Duval, Collaboration Spéciale

Ford GT

Voiture de course en liberté

 

Ce qui m'a surtout frappé au cours de ce long voyage, c'est la position de conduite fortement inclinée qui donne l'impression d'être au volant d'une monoplace de course. Même les sièges ultraminces avec une ombre de rembourrage rappellent davantage un engin de compétition qu'une voiture de promenade.

Le tableau de bord avec ses instruments bien alignés et ses commutateurs à bascules semble provenir d'un prototype engagé aux 24 heures du Mans.

Le levier de vitesse avec son pommeau constitué d'une boule chromée pourrait quant à lui provenir d'une Ferrari.

Les espaces de rangement et l'emplacement pour les bagages ne faisaient sans doute pas partie du cahier des charges tellement ils sont rarissimes.

Pour tout dire, la Ford GT ne s'embarrasse pas de superflu et ne conserve que le strict nécessaire pour narguer les Ferrari de ce monde comme elle le faisait il y a 40 ans aux mains des pilotes les plus réputés de leur époque (Dan Gurney, Bruce Mclaren, Pedro Rodriguez, A.J. Foyt, MarioAndretti, Dennis Hulme, Mark Donahue, etc.)

Prudence

Tous ces souvenirs remontent à la surface quand on est au volant de la Ford GT et cela malgré l'omniprésence du bruit de ce V8 à compresseur de 5,4 litres et 550 chevaux qui s'échine juste derrière l'habitacle.

Aucun doute possible, nous prenons place dans une légende. Cela me fait penser que l'on n'y accède pas sans peine à cause de ces portières dont la partie supérieure recourbée qui s'encastre dans la toiture exige une grande prudence pour ne pas s'y frotter, au risque d'hériter d'une douloureuse ecchymose.

Fort heureusement, tous ces petits sacrifices ont leur bonification dès que l'on appuie sur le petit bouton orange juste au-dessus du levier de vitesse. En ayant soin d'enfoncer l'embrayage tout au fond, le V8 s'anime, prêt au travail.

Les performances du moteur ont tôt fait de vous caler dans le siège du conducteur et les accélérations sont phénoménales, en dépit du fait que la Ford GT possède des rapports de boîte excessivement longs pour mieux profiter des interminables lignes droites du circuit des 24 Heures du Mans.

Cela ne l'empêche pas de stopper le chrono à 3,8 secondes au galop des 0-100 km/h tout en l'autorisant à filer à plus de 325 km/h si le terrain s'y prête. Le V8 à compresseur Eaton est pratiquement au repos si l'on respecte nos limites de vitesse en maintenant un régime de 1800 tours-minute à 100 km/h.

Si vous avez la discipline nécessaire pour résister à la tentation, vous serez surpris de constater que malgré son effusion de chevaux vapeurs, le moteur de la Ford GT se contente de 10 litres aux 100 km sur autoroute. En d'autres circonstances, soit en exploitant pleinement les performances offertes, les chiffres sont tellement scandaleux qu'il vaut mieux de ne pas les révéler. Disons que ça ressemble à un Hummer et on aura tout compris.

Sans aucune forme d'assistance électronique, la voiture exige du doigté et une certaine réserve dans les virages où son moteur central la rend facilement survireuse ou, si vous aimez mieux, sensible aux têtes à queue.

Contre toute attente, la suspension n'est pas l'instrument de supplice qui est le propre de beaucoup de voitures de ce type.

Disons qu'elle est raisonnablement confortable et que c'est probablement ce qui fait que sa tenue de route exige une certaine circonspection.

La production de la Ford GT ayant été stoppée, il faut fouiller le marché de la revente pour mettre la main sur un échantillon de ce modèle proposé à l'heure actuelle dans une fourchette de prix allant de 100 000 à 200 000 $, soit le prix original dans le premier cas et le double dans le second.

Nul doute qu'avec le temps, la Ford GT qui est déjà une voiture de légende adoptera le statut de voiture de collection et verra son prix atteindre de nouveaux sommets.

Nos remerciements à M. Pierre Paquet pour le prêt de la Ford GT

Photo Jacques Duval, Collaboration Spéciale

Ford GT