Quand donc serons-nous débarrassés de cet épouvantable fléau que l'on appelait autrefois les 4X4 et que l'on identifie désormais comme des VUS (Véhicules utilitaires sport) ou, pour chasser la vindicte de l'opinion publique envers cette désignation, des «crossover»?

À part la fausse impression de sécurité qu'ils confèrent par leur hauteur et leur gigantisme, ces véhicules n'ont aucune aptitude sportive, à moins que le fait de grimper des montagnes, de labourer les champs ou de franchir des rivières à gué puisse être considéré comme du sport. Quant à l'aspect utilitaire, ils n'offrent rien de plus que ce que l'on peut trouver dans une bonne familiale à quatre roues motrices.

Pour ceux qui prétendront qu'une familiale ne peut se substituer à un VUS sur des terrains accidentés, rappelons les statistiques démontrant très nettement que 90% de ces véhicules n'ont jamais quitté le bitume et que leurs propriétaires ignorent tout de la conduite hors route.

L'envers de la médaille est par ailleurs très bien garni: freinage déficient, tenue de route hasardeuse, consommation absurde, obstacle à la visibilité des autres usagers de la route, sans compter une maniabilité de camions de pompiers quand arrive le moment de se garer en ville. Désormais, quand on roule en file sur une autoroute, on doit oublier cette règle première de la sécurité qui dit que l'on doit regarder loin devant. Avec la surabondance de ces matamores plus hauts qu'une voiture, il est impossible d'avoir la moindre idée de ce qui se passe en avant. On circule enfermés dans un « trou » d'où l'on n'ose pas sortir, de peur que la voie ne soit pas libre.   

Un marché débordé

On aurait pu croire qu'avec la crise économique et un prix du carburant qui se dirige allègrement vers les 2 $ le litre comme en Europe on verrait le bon sens faire surface.

J'espérais bien aussi que le plan de restructuration de General Motors nous ferait voir une franche diminution dans la production de ces véhicules, mais c'était rêver en couleurs. Les conseillers de M. Obama ont laissé passer dans le filet de sécurité huit VUS alors que trois auraient suffi amplement à satisfaire aux exigences du marché: un modèle compact, un autre de format moyen et un gros engin pour la dure besogne. Au moins, on nous a débarrassés des Hummer.

Ford, pour sa part, n'a pas eu besoin de personne pour limiter son offre à six modèles, dont deux clones, alors que Chrysler (ou du moins ce qui en reste) propose quatre versions différentes de la motricité tout terrain. 

Mais les constructeurs américains ne sont pas les seuls à traiter l'environnement avec mépris. Ainsi, un nom révéré pour son attachement à l'environnement, Toyota,  pose son emblème sur pas moins de huit utilitaires sport, si l'on tient compte de sa marque de luxe, Lexus. Nissan, qui n'offre par ailleurs qu'un seul véhicule à motorisation hybride (l'Altima) en raison de la désaffection de son président Carlos Gohn pour cette technologie, répand dans le marché une brochette de sept gros énergivores.

Si l'on fait rapidement le compte, on arrive à 85 VUS alors qu'à l'époque de mes débuts dans ce métier, en 1965, on en dénombrait seulement sept ou huit. À l'heure actuelle, à la suite de cet engouement démentiel pour les VUS de tout acabit, un constructeur à lui seul peut en offrir autant que ce que l'ensemble de l'industrie proposait dans les années 60. Ridicule!

Photo Danny Johnston, AP

GM s'est départi de sa filiale Hummer mais a néanmoins conservé huit VUS à son catalogue.

Le fruit du terrorisme

Autrefois, General Motors vendait le Chevrolet Blazer, Chrysler répliquait avec son Ramcharger, Ford suivait la parade avec le Bronco alors qu'American Motors, par le biais de sa division Jeep, vendait le Cherokee et une version commerciale de la Jeep militaire originale. La firme de camions International Harvester connaissait également un certain succès avec le Scout tandis que l'Angleterre nous expédiait ses Land Rover, curieusement plus robustes que ceux d'aujourd'hui. 

Et c'était parfaitement suffisant... jusqu'à ce que les « bean counters » (comptables finassiers) des grands constructeurs découvrent que ces VUS coûtaient beaucoup moins cher à produire que des automobiles et que l'on pouvait augmenter considérablement les profits en explorant de plus en plus ce segment du marché. Il suffisait de mettre sur pied des campagnes de publicité habilement concoctées pour faire ressortir le côté passe-partout de ces véhicules en cas de catastrophe naturelle ou autre.

Et, tout d'un coup, la psychose du terrorisme est arrivée, l'argument massue pour rendre les gens complètement affolés. Les femmes, surtout, sont devenues « accrocs » à cet entourage de verre et de métal qui les protègerait des fous de la route et des terroristes errants. Detroit, pas fou, a renforcé le présumé côté « protecteur » de ces gigantesques 4X4 tout en les affublant d'une débauche d'accessoires - du GPS au contrôle de la stabilité.

Le problème ne sera pas résolu tant que l'on fera beaucoup d'argent à vendre des VUS à des gens qui sont convaincus qu'ils trônent dans un état de sécurité absolue lorsqu'ils sont au volant de leur véhicule.

Ce n'est malheureusement pas demain la veille que l'on éliminera ce fléau.

Photo Jacques Duval, collaboration spéciale

Même si la grogne contre les SUV visait principalement le Hummer, un modèle comme ce Porsche Cayenne de 85 000 $ et de 400 chevaux est tout aussi coupable de superficialité.