C'était bien avant Prenez le volant, le Guide de l'auto et ma collaboration à La Presse. Inconnu ou presque dans le milieu automobile, j'avais néanmoins réussi à convaincre la direction de Ford à Montréal de me laisser conduire la première Mustang à faire son apparition en ville au printemps de 1964. Mon intention n'était pas purement professionnelle et, plus qu'un essai routier, je voulais impressionner celle que je souhaitais pouvoir appeler «ma blonde».

Bien que la Mustang ait été un ramassis de pièces glanées ici et là sur des modèles Ford plus modestes (la Falcon en particulier) et par conséquent une voiture très ordinaire sur le plan technique, elle avait un pouvoir de séduction incomparable. Avec son long capot, son arrière tronqué, ses lignes sans fioritures et son caractère unique, elle projetait une image jeune et dynamique à laquelle s'identifiaient tous ceux qui allaient devenir les «baby-boomers».  

Séduite au premier coup d'oeil

 

Ma copine, qui adorait l'automobile, avait été ravie de sa tournée du centre-ville dans cette splendide décapotable bleu turquoise. J'ignore si c'est mon baratin de jeune chroniqueur automobile ou le vernis de cette Mustang toute neuve, mais toujours est-il que Monique (c'était son nom) est devenue ma blonde, ma passagère et, surtout, ma compagne de vie. Première conquête de la Mustang!

 

Vendue à 22 000 exemplaires le premier jour de sa mise en marché, nul doute que la Mustang avait tout ce qu'il faut pour émoustiller une clientèle en quête de renouveau de la part de l'industrie automobile américaine. Au cours de sa première année seulement de commercialisation, on en avait écoulé 680 989, un chiffre qui laissait supposer que l'on venait d'assister à la naissance d'une légende de l'automobile.

 

Un aspect intéressant du modèle le plus durable de la gamme Ford est qu'elle n'avait pas été conçue à l'origine pour devenir une sportive redoutable. Par exemple, ce ne sont pas les accélérations du «bolide» qui ont conquis ma blonde puisque cette Mustang originale avait un tout petit moteur 6 cylindres en ligne de 170 pouces cubes (un peu moins de 3 litres) environ qui développait à peine 101 chevaux. On était loin du bolide qui laisse sa marque sur le bitume.

 

Un V8 à la rescousse

 

Heureusement, le célèbre V8 Ford de 289 pouces cubes est vite arrivé à la rescousse avec ses 225 chevaux, une puissance pas tellement renversante, mais un peu plus digne d'une automobile d'allure sportive.

 

Aujourd'hui, on crierait au scandale si un constructeur osait offrir une voiture aussi démunie que l'était la première Ford Mustang. Son prix de base de 2320$ était une sorte d'attrape-nigaud pour attirer le client qui se voyait par la suite confronté à une batterie d'options presque indispensables. Il fallait par exemple verser un supplément pour la servodirection, l'assistance des freins à tambour, la radio AM, le lave glace, les ceintures de sécurité de luxe (ne me demandez pas de quoi elles avaient l'air) ou pour une transmission possédant plus de 3 rapports.

 

La course à la puissance

 

Seulement quelques mois après son lancement, Ford a réalisé tout le potentiel de la Mustang et s'est sérieusement attaqué à la rendre moins désuète. Le générateur a cédé sa place à un alternateur, une version dite «fastback» a été ajoutée au coupé et au cabriolet déjà en service et, surtout, la puissance a commencé son escalade passant successivement de 225 ch à 271, 306 et 360 ch, toujours avec l'increvable V8 de 289 pouces cubes.

 

Vint ensuite le sorcier de la mise au point, Carroll Shelby, un coureur automobile devenu préparateur qui décida de créer des versions plus étoffées, les réputées Shelby Mustang. L'appellation «pony car»  venait de naître et allait donner suite à la glorieuse époque des « muscle cars » du début des années 60é

 

La course à la puissance reprit de plus belle avec les Camaro et Firebird de General Motors, la Javelin d'American Motors et les Plymouth Barracuda et Dodge Challenger de Chrysler, une guerre qui fut âprement disputée sur plusieurs circuits de course (y compris Mont-Tremblant) dans une série connue sous le nom de «Trans-Am».

 

Mon souvenir de la première Mustang est celui d'une voiture à l'architecture très plaisante, mais dont la tenue de route était aléatoire, surtout sur des routes glissantes. J'avais aussi relevé plusieurs fautes de jeunesse découlant d'une finition superficielle. Malgré ses places arrière étriquées et un semblant de coffre, la clientèle, semble-t-il, laissait s'exprimer sa passion au lieu de sa raison.

 

On disait à l'époque qu'il était difficile de trouver deux Mustang semblables, une allusion au fait que la voiture possédait la liste d'options la plus longue de toute l'industrie automobile d'alors. Quoi que l'on dise de cette voiture, c'était une séductrice née et ma blonde serait pleinement d'accord si elle était encore avec nous.