Au moment même où l'on s'inquiète sur l'avenir de la société Chrysler, de nombreux fanatiques de l'automobile s'interrogent davantage sur ce qu'il adviendra de ce qui constitue probablement le seul produit de la marque américaine à posséder un pouvoir de fascination, la Dodge Viper.

Vénérée par une bande de propriétaires qui se sont regroupés en plusieurs clubs automobiles, cette voiture fait grande impression et ceci malgré sa brutalité, ses imperfections et son abstraction de toute norme de confort. On peut même ajouter que ses performances démentielles ne sont pas à mettre entre toutes les mains.

On s'accroche évidemment au fait que l'on ne peut pas laisser mourir une telle icône de l'automobile et qu'une société privée s'appropriera le nom, l'historique et tout ce qui fait qu'une Viper est une automobile unique au monde dans le cercle restreint des voitures d'exception.

Chrysler rabroué

Survivra-t-elle aux conclusions cinglantes du Congrès américain dans son mémo répondant au plan de redressement et de viabilité soumis par le constructeur américain. Chrysler s'y fait rabrouer sans gants blancs lorsque le rapport souligne que la compagnie manque de ressources pour sortir de l'impasse et que ses produits sont de qualité inférieure à la concurrence.

 

On ajoute que le numéro 3 américain ne peut consacrer assez d'argent à la recherche et au développement afin de rester compétitif et qu'il ne possède pas les outils nécessaires à la création prochaine d'une gamme de petites voitures, un segment en pleine croissance. Le mémo stipule aussi que les produits actuels de la marque sont mal perçus par le consommateur en terme de qualité et de fiabilité, ce qui est corroboré par les évaluations de JD Power et de Consumer Reports. Chrysler est aussi dans le dernier quart du classement des voitures possédant le plus d'attraits pour l'acheteur et n'a aucun modèle recommandé par Consumer Reports, sans doute la publication la plus influente en Amérique.

Fiat à la rescousse

Le tableau est désolant et ne laisse présager rien de bon pour Chrysler dont la survie dépend désormais de Fiat, le constructeur italien qui est aussi propriétaire de Lancia, Alfa-Roméo, Maserati et Ferrari. Ce mariage a de bonnes chances de réussite s'il est bien géré grâce à la grande expertise de Fiat en matière de petites voitures. Il faudrait toutefois éviter les dédoublements, s'assurer que les deux entités conservent leur caractère bien particulier, écarter les clones et, pour les Américains, apprendre à composer avec la Dolce Vita, un mode de vie qui est complètement à l'opposé du leur.

Danger: Dodge Viper SRT 10

Ce qu'il ne faut surtout pas faire, c'est par exemple, de dénaturer une voiture comme la Viper qui est un véritable serpent venimeux prêt à vous mordre à la moindre échappée. Sous la pluie, les 600 ch de son moteur V10 ne sont pas une sinécure à dompter et il faut être circonspect pour ne pas se retrouver dans la direction opposée au sens du trafic, ce qui peut donner des sueurs froides et vous rendre excessivement inconfortable. Par ailleurs, sur route et par temps sec, attendez-vous à ce que ça fasse des étincelles avec des accélérations qui m'ont souvent valu les regards dépités de motocyclistes grimpés sur leurs petites bombes à retardement. Plusieurs avouaient que la Viper leur avait infligé leur première défaite sur deux roues.

À part son comportement aléatoire sur pavé glissant, la Viper est scotchée au bitume jusqu'à la perte d'adhérence très tardive de ses immenses pneus Michelin Pilot PS 2 (des 265/35 ZR18 à l'avant et des 345/30 ZR19 à l'arrière) conçus expressément pour elle. Chose certaine, ce coupé sport n'est pas fait pour les petites natures et tient beaucoup plus d'une voiture de course que d'une automobile de promenade. Oubliez le régulateur de vitesse, le contrôle de la traction ou encore le système de stabilité ou même la transmission automatique, des accessoires de gringalet qui n'ont pas leur place dans une voiture aussi virile.

 

Il appartient au conducteur de respecter l'abondance de puissance qu'un moteur V10 de 8,4 litres peut libérer quand il est pleinement sollicité. Ainsi, il faut éviter d'accélérer à fond à la sortie d'un virage tant que la voiture n'est pas parfaitement en ligne droite. Le fait de contourner cette précaution vous fera vivre toutes les conséquences d'un tête-à-queue étant donné que la Viper est dépourvue de toute assistance électronique, à l'exception des freins ABS apparus il y a quelques années. Un différentiel autobloquant permet aussi d'éviter le cirage de la roue arrière intérieure en conduite ultrasportive sur un circuit fermé. À ce propos, conduire une Viper à la limite tient lieu de défi et ce n'est pas le levier de vitesse qui facilite les choses compte tenu de son guidage imprécis.

La voiture est si puissante que Chrysler ne possédait pas de transmission automatique suffisamment solide pour faire face à un couple de 560 lb-pi.

Confort primitif

L'intérieur est un peu à l'image du reste de la voiture et l'équipement est assez sommaire. L'accès au poste de pilotage est un exercice inélégant et pénible et l'intérieur se révèle un peu à l'image du reste de la voiture avec son équipement assez sommaire. La visibilité est atroce, l'espace mesuré et le coffre arrière est incapable d'accueillir le traditionnel sac de golf tellement il est minuscule. Fort heureusement, les sièges sont d'un confort sans pareil et offrent un maintien parfait en virage.

Malgré son peu de raffinement et un confort primitif, la Viper s'est taillé une place de choix auprès des purs et durs de l'automobile qui tourne le dos à une Corvette devenue trop épurée.

Ce plaisir de conduire, quoique très particulier, est menacé de disparaître si jamais Chrysler remet son bilan. Les voitures de faible série cohabitent mal chez les constructeurs généralistes et donnent souvent plus de maux de tête que de bénéfices tangibles. En revanche, ce sont aussi des bâtisseurs d'image, une démarche dont Chrysler a rudement besoin pour envisager un quelconque redressement.

Malgré de solides performances qui lui permettent de se mesurer à ce qui fait de mieux en matière de voitures d'exception, la Viper véhicule une image dont on peut discuter la pertinence en cette période de ceintures serrées et de pollution zéro. À suivre, sans aucun doute.