On savait que le trafic de la drogue peut ruiner une école, un quartier, un pays. On sait maintenant que ça peut aussi faire mal à un constructeur automobile.

Les constructeurs automobiles qui fabriquent des camionnettes, comme les Séries F de Ford, le Silverado de GM et le RAM, de Chrysler, ont un problème de drogue au Mexique, rapporte le quotidien économique El Financiero, de Mexico.

Les ventes de pick-ups Ford F-150, en particulier, sont en forte baisse au Mexique parce que les camionnettes en général sont devenues ni plus ni moins que des véhicules de transport de troupes pour les nombreux narco-cartels qui se livrent une guerre sanglante entre eux pour le contrôle du trafic des stupéfiants vers les États-Unis. Dans le nord du Mexique, les meurtres sont quotidiens, alors que les diverses bandes rivales s'attaquent et défient avec violence la police et l'armée mexicaine. La quasi-guerre civile liée à la drogue a fait environ 30 000 victimes depuis le début de 2007.

Les narcotrafiquants achètent des pick-ups par douzaine dans les villes qui jouxtent la frontière américaine, comme Tijuana. Mais dans tout le nord du pays, les gens qui peuvent acheter autre chose se tiennent loin des camionnettes. Avoir l'air d'un narcotraficant peut être fatal : ils ont peur de se faire tirer dessus par des narcotrafiquants les prenant pour des rivaux, ou par les forces de sécurité du gouvernement mexicain.

Cinq places confortables pour des assassins armés

Selon El Financiero, les narcotrafiquants utilisent toutes les marques de gros pick-ups mais semblent affectionner particulièrement le F-150, qui, au Mexique, porte le nom carnassier à souhait de «Lobo» (loup).

«C'est un véhicule en forte demande pour commettre des actes criminels, en raison de sa taille et de sa puissance: quatre ou cinq hommes armés de fusils peuvent facilement et rapidement y monter et en descendre», a déploré lors d'une conférence de presse le président de Ford Mexique, Gabriel Lopez.

M. Lopez n'est vraiment pas content de la popularité des pick-ups Ford chez les troupes de choc des trafiquants de drogue: la part de marché de Ford, tous modèles confondus, a baissé de plus de cinq points à 10,7%, uniquement à cause de l'écroulement des ventes du F-150 Lobo, fui par le consommateur. L'année 2010 s'annonce pire, avec une nouvelle baisse de 7,1% jusqu'à présent, par rapport à 2009. Encore là, c'est la chute des ventes du F-150 Lobo qui explique les ventes en baisse pour toute la marque.

«Le segment des grosses camionnettes pour usage personnel a diminué en raison de l'insécurité, a déclaré le directeur. C'est le seul segment qui a rétréci.»

«Beaucoup de place pour des armes dans un F-150»

Selon M. Lopez, le F-150 a d'autres attraits que sa vaste soute ouverte, à l'arrière, pour les équipes de tueurs des narcotrafiquants: «Il y a beaucoup de place à l'intérieur de la cabine d'un pick-up pour mettre plein d'autres armes», a-t-il déploré.

Pour l'honnête père de famille mexicain, il existe une autre raison d'éviter les camionnettes, même si aucune balle n'est tirée. Le gouvernement fédéral a déployé l'armée dans certaines zones particulièrement violentes et le conducteur d'un pick-up est sûr de se faire contrôler dès qu'il passe un des nombreux barrages routiers qui sont installés aux approches des villes et dans certains quartiers. Et on vous laisse deviner quels véhicules sont systématiquement fouillés à la frontière américaine.

Ford exploite trois usines d'assemblage aux Mexique. Chrysler-Fiat, General Motors et Volkswagen ont aussi de grosses usines dans ce pays, dans les régions de «Maquiladoras» non loin de la frontière américaine, où 70% de la production automobile est exportée. La Ford Fiesta, la Volkswagen Jetta et, bientôt, la Fiat 500, en vente au Canada, viennent du Mexique.

Le fait que l'impact de la drogue se fasse sentir jusque dans les pages d'un quotidien économique comme El Financiero montre l'ampleur des ravages causés par le trafic de la drogue, et ses répercussions importantes dans toutes les facettes de la société mexicaine. Mais ce n'est pas la première fois: le mois dernier, le ministre des finances Ernesto Cordero avait affirmé à l'agence de presse Reuters que les graves problèmes d'insécurité qui affectent le Mexique ont «probablement» affecté la prise de décisions économiques dans certaines régions. Mais il n'avait donné aucun détail supplémentaire.

Mercredi, El Financiero rapportait une estimation du coût économique de la flambée criminelle au Mexique. Le groupe financier BBVA-Bancomer a publié une analyse statistique révélant que le crime a coûté un point de pourcentage par année depuis 2006 au produit national brut du Mexique.

Photo fournie par Ford

Ford F-150 2009